Entrevue avec un community organizer : Jean-Michel Knutsen

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Les dispositifs de démocratie participative comme les conseils de quartiers ou les budgets participatifs se développent en France. Leur point commun est d’être impulsé et mené par les collectivités. En complément de l’échange avec Hélène Balazard, iD City approfondit une approche innovante de la participation citoyenne. Celle de la structuration de l’intelligence collective par le community organizing. Nous sommes partis à la rencontre de l’un des rares community organizer français afin d’en apprendre plus sur sa conception de l’organisation collective.

Jean-Michel Knutsen est devenu community organizer en travaillant pour Citizens UK en 2015. Depuis son retour en France, en 2017, il a fondé l’association “Organisez vous !” qui est dédiée à l’accompagnement des mouvements sociaux et la création de coalitions associatives.

Comment êtes-vous devenu Community organizer ? 

J’ai entendu parler de community organizing pour la première fois en 2008, quand j’ai commencé à travailler dans le cabinet de Ségolène Royal, en Poitou-Charentes. A ce moment-là, le monde entier était rivé sur les élections américaines et sur le succès d’un certain Barack Obama, dont les méthodes de mobilisation avaient pris tous ses adversaires par surprise. En France, il y avait beaucoup d’articles sur le fait que son premier métier avait été “community organizer”. On se demandait ce que cela voulait dire, et surtout en quoi ça l’avait aidé à organiser sa campagne, le propulsant du statut d’outsider à celui de premier président noir des Etats-Unis. 

Dans ce contexte, la personne avec qui je travaillais au cabinet m’a un jour apporté deux textes pour que j’en fasse une traduction en français. Il s’agissait d’une part de la “senior thesis” d’Hillary Clinton et d’autre part de l’interview testament du community organizer Saul Alinsky (publiée dans Playboy magazine en 1972). Quand j’ai plongé dans ces textes et découvert concrètement ce que “community organizing” voulait dire, je me suis dit : ”c’est exceptionnel, je ne connais nul part en France où quelqu’un fait ça”. 

Il y avait dans le community organizing une façon de voir la politique assez nouvelle pour moi, qui passait par un travail d’organisation collective au sein de la société civile. A l’origine, de part mon milieu social et mes études en science politique, j’avais une conception assez limitée de l’engagement politique, qui se réduisait soit à la participation aux instances représentatives traditionnelles, soit à l’activisme revendicatif. Or là je découvrais quelqu’un qui expliquait à la fois qu’ “on n’est pas obligé de participer à des règles qui nous ont été imposées”, mais aussi que “pour gagner on doit créer notre propre pouvoir et imposer nos propres règles”. 

Cela m’a tellement marqué que, dès que j’ai eu l’opportunité de partir vivre en Angleterre, j’ai tout de suite cherché qui pouvait me former à cette nouvelle façon de militer. Après quelques temps, j’ai finalement pris contact avec l’association Citizens UK (qui est proche de l’IAF – Industrial Areas Foundation – l’organisation fondée par Saul Alinsky). J’y ai été formé au community organizing inspiré par Alinsky, une méthodologie aujourd’hui très critiquée dans le monde anglo-saxon, mais qui m’a donné de bonnes bases que j’ai pu approfondir par la suite.

Qu’est ce que vous entendez par Community organizing ? 

Un effort de traduction est nécessaire. Parler de community organizing en France, c’est importer chez nous une expression anglo-saxonne qui ne veut pas dire grand chose en français. 

En anglais, la “community” c’est un groupe de gens qui se retrouvent autour de ce qu’ils partagent : des valeurs, une histoire, un lieu de vie. Par exemple, pendant l’épidémie de COVID-19, les anglais et les américains parlent des “communities” en permanence pour décrire les groupes de gens qui, dans leurs quartiers ou leurs barres d’immeubles, se serrent les coudes pour faire face à la crise ensemble. 

En français, c’est une toute autre histoire, parce que chez nous l’expression de “communauté” a été largement diabolisée. D’une part, la Révolution Française a bâti notre République sur la négation de la société civile et de ses pouvoirs. Et d’autre part, l’hégémonie culturelle de l’extrême droite s’est servie de ce républicanisme pour rejeter l’idée que les citoyens puissent se réclamer d’identités multiples. C’est comme ça que, dans le débat public, on a peu à peu glissé de la “communauté des citoyens” vers “le communautarisme qui menace la République”. Comme si, dès l’instant où des citoyens cherchaient à se rassembler, il s’agissait forcément d’une question d’identité, en vue de s’opposer plutôt que de rassembler. 

C’est pour cela que chez nous la traduction de “community organizing” par “organisation communautaire” (comme peuvent le faire les québécois), n’a pas forcément de sens, parce qu’on utilise un vocabulaire qu’on ne maitrise pas tout à fait. Du coup je préfère plutôt parler d’organisation collective, qui est une expression que les syndicats utilisent encore aujourd’hui pour désigner un effort de structuration et de montée en puissance des travailleurs.

Alors que serait un processus d’organisation collective ?

Cela peut être tout et n‘importe quoi. S’organiser au sein d’un lieu de travail, au sein d’un quartier, entre femmes, entre personnes qui subissent des discriminations parce qu’elles sont exilées. 

Il n’y a pas tellement de procédure type, pas de technique type de l’organisation collective. Par contre, si l’on revient à la définition de ce qu’est l’organisation collective, on voit qu’il s’agit avant tout d’un travail de structuration des citoyens mobilisés afin de monter en puissance et de gagner des combats ensemble. Quel que soit l’objet de la lutte et le lieu où l’on s’organise, l’objectif numéro un c’est de développer son pouvoir collectif.

Quand on va s’organiser, ce sera avant tout pour resserrer les liens de solidarité, pour grandir en tant que groupe et avoir suffisamment de poids pour être capable d’être à la table des négociations avec les décideurs pour faire avancer certains sujets. 

Quelles sont les actions marquantes que vous avez menées en Grande Bretagne ? 

Il y a 2 actions dont je suis assez fier. 

La première a eu lieu quand je suis arrivé dans la région de l’Essex, dans la ville de Colchester. Ma première mission pour Citizens UK était d’aider à la structuration d’une coalition locale pour l’accueil d’exilés syriens. On a pu accueillir 200 personnes tout en donnant l’exemple à d’autres collectifs localement. L’effort d’organisation collective a donc eu un effet très concret sur le terrain, mais il a aussi permis de bouger les choses au niveau national. En effet, notre député local, qui était conservateur, a pris conscience de ce qui se passait et a pu influencer d’autres élus de la majorité. Ce qui a mené à la signature de l’amendement Dubs, permettant à des centaines de mineurs isolés de Calais d’être accueillis de façon légale en Angleterre.

March from Mercury Theatre to Lower Castle Park by Welcome Refugee – a group which welcomes the Syrian refugees to Colchester on Saturday through the pouring rain. Then speeches at the bandstand in the park
14/11/2015

C’est une belle leçon d’organisation car elle montre comment quelque chose qui est de l’ordre de l’enjeu local peut avoir une résonance au niveau national, si tout le monde réussit à s’entendre sur une même stratégie.

La deuxième action marquante pour moi a été celle par laquelle j’ai terminé mon engagement à Citizens UK : la fondation de ce qu’ils appellent une “Citizens Alliance” (une coalition inter-associatives) dans la Région de l’Essex, elle-même constituée de plusieurs alliances locales situées à Colchester, Chelmsford, Southend et Clacton-on-Sea (l’une des villes les plus pauvres d’Angleterre). Cette fois, ça a été le résultat de plus de deux ans de travail pour mettre autour de la même table des acteurs de la société civile a priori très différents : associations, syndicats, centres sociaux, lycées, universités, collectifs… L’objectif était de créer plus qu’un réseau : un système de liens de solidarité robustes qui permettent à la société civile de prendre de la force et d’avoir suffisamment de pouvoir pour lutter efficacement pour la justice sociale et le bien commun. 

Là on est vraiment dans la définition de l’organisation collective parce que ce sont des acteurs qui, individuellement n’ont pas énormément de pouvoir mais qui, une fois rassemblés, ont tellement de puissance qu’ils sont capables d’imposer leurs revendications aux collectivités territoriales et aux grandes entreprises.

Par exemple, l’université de l’Essex cherchait à négocier depuis longtemps avec la compagnie de bus locale qui avait une politique tarifaire des plus punitives, notamment pour les plus démunis. En rejoignant la coalition associative, l’université a partagé cette préoccupation avec ses nouveaux alliés, et s’est rendue compte que la question du tarif des transports était partagée par tout le monde. Rassemblée autour de cette revendication commune, la coalition a alors été capable de lancer des actions de grande ampleur pour faire plier la compagnie de bus. J’en suis très heureux parce qu’au Royaume-Uni, les acteurs des transports ont été privatisés il y a plusieurs décennies et ils sont devenus très puissants (en s’enrichissant sur le dos des usagers). A tel point que même les collectivités territoriales ont parfois du mal à négocier avec eux. Or, grâce à l’effort d’organisation collective dans la région de l’Essex, les citoyens sont pour la première fois capables de faire entendre leur voix et de lutter efficacement pour un vrai retour aux services publics. 

Vous réalisez un ensemble de recherche approfondi sur Organisez vous ! quel est le but de ce travail pour un community organizer ?   

J’insiste sur le travail de recherche car je pense que ce n’est pas pertinent de faire juste un copier-coller des méthodes Anglo-saxonnes pour les appliquer ensuite en France. Parce qu’il faut bien reconnaître que, de l’autre côté de la Manche, les valeurs, l’horizon politique ou la fabrique de la société civile sont très différentes. Du coup, même s’il y a beaucoup de passerelles à trouver avec l’Angleterre ou même les Etats-Unis, je pense qu’il est aussi fondamental de regarder ce qui a déjà eu lieu en France dans l’histoire de nos mouvements sociaux, afin d’identifier les gestes d’organisation collective qui ont déjà été pratiqués chez nous mais qu’on ne retrouve pas forcément aujourd’hui parce que la culture militante a changé.

En effet, les tactiques militantes et les stratégies d’actions collectives qu’on retrouve aujourd’hui en France sont souvent très différentes de l’organisation collective. Par exemple, on peut constater une très large utilisation des actions d’occupations, de manifestations, ou d’actions directes qui reposent toutes, globalement, sur une même théorie du changement : 1) mener une mobilisation symbolique ; 2) la relayer par les médias (sociaux puis traditionnels) pour obtenir le soutien de l’opinion ; 3) utiliser ce soutien pour faire pression sur les décideurs.

Une telle stratégie pouvait marcher dans les années 70 et 80, à une époque où les entreprises et les hommes politiques ne maîtrisaient pas encore complètement leur communication, mais aujourd’hui ce n’est clairement plus le cas. On l’a bien vu avec les échecs successifs de mouvements comme Nuit Debout, des Marches pour le Climat ou encore des Gilets Jaunes. Face aux citoyens mobilisés, les entreprises et les hommes politiques ont développé des dizaines de techniques pour étouffer les mouvements sociaux, inspirés des tactiques de contre-insurrection menées par les puissances impérialistes dans les pays qu’elles occupent.

Face à ce constat, ma réflexion c’est de trouver comment sortir du paradigme de l’activisme contemporain, en réinventant la pratique de l’organisation collective, telle que celle-ci a été pratiquée autrefois, par exemple pendant la grande Grève Générale de 1968.

C’est pourquoi mon association consacre beaucoup de temps et de ressources à la redécouverte de récits de lutte* oubliés qui peuvent nous inspirer aujourd’hui, comme la longue lutte des suffragettes françaises. Leurs récits ne sont racontés ni dans les manuels scolaires, ni à l’école, ni même dans la plupart des livres d’histoire. Pour les retrouver, il faut donc s’inspirer des méthodes de l’Éducation Populaire et creuser dans les archives des mouvements associatifs et syndicaux, ou même collecter les témoignages de celles et ceux qui peuvent nous raconter leurs propres luttes. Ensuite, à partir de ces histoires de combats militants (victorieux ou non), on peut effectuer un travail d’analyse et peu à peu reconstituer tout un arsenal d’actions collectives qui soient mobilisables dans nos prochaines campagnes.

Si on reprend l’aspect de praticien, comment opérez-vous en tant que community organizer en France ? 

J’accompagne à la fois localement et nationalement les militants qui veulent changer de stratégie et expérimenter des pratiques d’organisation collective. Mais je n’ai pas de méthode “clé en main”. A chaque fois je m’adapte aux défis du terrain, et j’expérimente de nouveaux outils qui me viennent de mon constant travail de recherche. Par exemple, j’accompagne en ce moment un collectif féministe, un syndicat interprofessionnel, une association de lutte pour l’égalité des chances ou encore un projet de coalition associative dans le 19eme arrondissement de Paris. Dans chacun de ces projets, la philosophie est la même, mais les apports méthodiques sont très différents.

Sur le long terme, souhaitez-vous former de futurs community organizers ? 

C’est fondamental ! Parce qu’aujourd’hui, il y a encore trop peu d’organisateurs en France, et on ne peut pas entraîner un véritable changement de paradigme militant sans le développement d’une communauté de praticiens pour changer les choses sur le terrain. Sur le long terme, il est donc très important de proposer un programme de formation professionnalisant, qui soit à la fois de bonne qualité, rigoureux et accessible à tous. 

Les contenus de cette entrevue ne reflètent pas nécessairement les positions d’iD City mais révèlent de nouvelles méthodes originales de mobilisation qui s’implantent en France.

Pour en savoir plus :

Mobiliser les citoyens les plus éloignés de la politique avec le community organizing

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La participation institutionnelle se développe en France et prend de multiples formes : budget participatif, consultations urbaines, ateliers participatifs, conseils de quartiers, etc. Malgré cette offre de participation pléthorique, certains dispositifs ont du mal à atteindre leurs cibles. Les profils sociaux des participants sont souvent assez homogènes et manquent donc de diversité. En parallèle de cette offre institutionnelle, des associations et des collectifs se mobilisent pour faire entendre la voix des personnes les plus éloignées des espaces politiques locaux. Nous avons échangé avec Hélène Balazard, chercheure en science politique à l’Université de Lyon/ENTPE. Son travail de recherche explore le community organizing, une méthode de mobilisation citoyenne anglo-saxonne qui s’importe en France. Découvrez cet entretien.

Qu’est-ce que le community organizing et quels sont ses principes ?

C’est l’auto-organisation de la société civile dans une communauté de territoire pour viser l’amélioration de leurs conditions de vie et le développement de leur pouvoir d’agir. C’est difficile à traduire en Français. Il y a ce qu’on appelle les alliances citoyennes mais dans le milieu de la recherche, voire militant, on garde le terme de community organizing parce qu’il y a la dimension de communauté qui n’a pas tout à fait la même signification que le mot community et organizing. Il y a le gérondif qui est l’idée d’organiser une communauté. Community ça peut signifier un quartier, une ville, etc.

La notion d’auto-organisation est importante. Le grand principe, c’est de faire en sorte que ce soient les premiers concernés qui définissent leurs problèmes. Développer le pouvoir d’agir de ceux qui en ont le moins. Aller vers ceux qui ont le moins de pouvoir. Voir ce qui les concerne et essayer de leur donner les outils pour interpeller les décideurs et participer aux décisions.

C’est aussi redonner de la place au conflit en démocratie. Ce n’est pas quelque chose de mal d’avoir des moments de conflits. La politique est là pour résoudre les conflits donc si il n’y a pas de conflits à résoudre, la politique est morte. Autant les reconnaître et puis chercher ensemble des solutions. Il y a une phrase d’Alinsky importante : “il n’y a pas d’ennemis ni d’alliés permanents”. Ce qui signifie qu’il faut construire des relations publiques avec tout le monde.

Un des apports du community organizing, c’est qu’il permet d’identifier des problèmes participativement. Le problème remonte des citoyens organisés et l’idée c’est aussi que les citoyens soient en mesure d’identifier les solutions qui leur conviennent le mieux pour convaincre les décideurs de les mettre en oeuvre. Ceci se fait parfois en partenariat avec les décideurs s’ils veulent trouver une solution de manière participative.

Pour élargir les publics de la participation citoyenne institutionnelle, vous préconisez de dédier des moyens humains pour aller vers les personnes qui ne participent pas spontanément… Comment il faudrait faire ? Est-ce que le community organizing est un outil à mobiliser ?

Le community organizing met l’accent sur le fait d’aller vers les personnes les plus éloignées de la politique pour les accompagner. C’est les outiller pour mener campagne sur les sujets qui les concernent et les préoccupent le plus. Comme le logement et l’emploi ou la lutte contre les discriminations. Ou alors des micro-campagnes sur des choses que l’on peut obtenir très rapidement : des lampadaires, des petits problèmes hyper locaux qui sont assez anecdotiques mais qui permettent de mobiliser des personnes qui ne croient pas en leur capacité d’action et de changement. Les petites campagnes sur le cadre de vie existent dans le community organizing. Elles ne sont pas une fin en soi mais un moyen de mobiliser des personnes quand elles pensent qu’elles n’ont aucun pouvoir. Elles apprennent qu’en interpellant les décideurs on peut obtenir gain de cause. C’est surtout un moyen de former de nouveaux leaders et mobiliser de nouvelles personnes. Ces petites campagnes visent plus particulièrement à régler des problèmes plus primaires et prioritaires autour du logement, de la sécurité, de l’éducation.

Est-ce que le modèle s’applique bien en France alors que le terme de communauté est vécu péjorativement en France ?

On nous l’a beaucoup dit mais dans les faits non. Car si on y réfléchi, c’est très théorique que le terme de communauté soit vécu de manière péjorative en France. Au final, les gens fonctionnent quand même en communauté. Et même les plus riches. Les sociologues Monique et Michel Pinçon Charlot l’ont bien démontré. Il y a du communautarisme chez beaucoup d’élus et de partis politiques, notamment au niveau local. Après le fait est que les critiques du communautarisme servent surtout à critiquer une religion en particulier. Et ça c’est problématique.

Est-ce que le community organizing souffre de cette stigmatisation pour sa diffusion en France ?

L’idée du community organizing n’est pas de créer du repli sur soi communautaire. Les organisations qui sont les étendards en France du community organizing, ce sont les alliances citoyennes de l’agglomération de Grenoble et Aubervilliers. Il y a aussi une organisation à Rennes qui s’appelle “Si on s’alliait ?”. On est bien sur la thématique de l’alliance et non de l’entre-soi.

Il faut voir les communautés en tant que petites écoles de la démocratie. Des endroits où on s’organise à plusieurs. L’idée n’est pas de stigmatiser ces petits groupes qui existent et faire en sorte qu’ils restent entre-eux mais de les ouvrir vers la grande société et créer des passerelles. Tant qu’on les stigmatise, on va créer cet entre-soi qu’on pense pourtant combattre. L’idée du community organizing est de relier des communautés, des petites écoles de la démocratie entre-elles pour les valoriser. C’est important que les gens se socialisent à la petite politique pour pouvoir participer à la grande politique.

Existe-t-il différents modèles de community organizing ?

Il y a plusieurs modèles de community organizing et notamment des modèles où les membres sont des individus. Donc là l’objectif c’est recréer une forme de corps intermédiaires. Dans le modèle de London Citizens, les membres sont des groupes. Donc le but est de valoriser ces groupes qui existent en faisant en sorte qu’ils travaillent ensemble sur des sujets qu’ils ont en commun car l’union fait la force.

Vous prônez la diversification des modes d’expression et d’écoute pour faire en sorte que les personnes les plus éloignées de la politique puissent s’exprimer. Quels sont les formats d’expression que vous avez en tête ?

Dans les modèles où les membres sont des individus, le format de base c’est en effet le porte à porte. Dans le modèle où les membres sont des groupes, la méthode est plutôt d’aller voir les groupes qui préexistent. Donc beaucoup d’associations cultuelles, d’établissements scolaires, des centres sociaux. Mais notamment les églises, les synagogues, les mosquées, les temples. Finalement dans un quartier, c’est aller à un endroit où il existe des liens de sociabilité sur lesquels on pourrait s’appuyer. C’est aussi une manière de toucher parfois les personnes les plus précaires. Souvent ces personnes sont accueillies par une communauté cultuelle et/ou d’autres communautés. Ces communautés font souvent un travail pour aller vers les personnes les plus pauvres. L’idée est de décupler la mobilisation en passant par des formes déjà existantes d’organisations qui ne sont pas en tant que tel sur le terrain politique. C’est s’appuyer sur cette base pour aller vers les personnes les plus éloignées de la politique et gagner en pouvoir d’agir.

Quelle est la réception par les institutions politiques du community organizing ?

Le community organizing vient en complément de la démocratie représentative car le community organizing incite les gens à aller voter. A Londres, avant chaque élection municipale, ils organisent les “accountability assembly” où l’assemblée invite les principaux candidats aux élections municipales. L’assemblée fait une campagne d’écoute en amont pour identifier les 5 priorités sur lesquelles leurs membres ont envie que le prochain maire agisse avec des solutions déjà identifiées.

Si le maire sortant est candidat à sa réélection, ils font le bilan de ce qu’il avait promis avant son élection. Il se fait applaudir ou huer. L’assemblée fait des demandes pour la prochaine mandature et chaque candidat a un temps de parole défini. Les temps de paroles sont maîtrisés par London Citizens. Ils demandent au futur maire de s’engager pour faire des points réguliers sur l’avancée de ses promesses. Ils essaient de recréer du lien et de la confiance. Il y a beaucoup de gens qui ne votent pas parce qu’ils pensent que ça ne sert à rien et qu’il n’y a plus aucun lien. Ils ont perdu confiance en la capacité des élus de les représenter. Là ils essaient de recréer ce lien.

Souvent les candidats sont preneurs de ce type de rencontres. Lors de la dernière assemblée, il y avait 5000 personnes à Londres. Ils arrivent à réunir une image du “citoyen ordinaire” de Londres car il y a tous les âges, toutes les couleurs, toutes les religions et tous les looks. Ce n’est pas un public homogène comme ils en ont l’habitude dans les meetings politiques ordinaires. Les candidats apprécient d’avoir l’impression d’être au contact du “citoyen ordinaire”. Pendant ces assemblées il y a toujours un stand avec une association qui est là pour aider les gens à s’inscrire sur les listes électorales.

Quels sont selon-vous les défis à relever de la démocratie participative institutionnelle aujourd’hui en France ? Est-ce que c’est par exemple renforcer la démocratie d’initiative citoyenne ?

Un des défis c’est de reconnaître la démocratie d’interpellation et reconnaître qu’il peut y avoir des conflits. Les élus doivent être formés au fait qu’ils peuvent se faire interpeller et donc apprendre à réagir dans ces cas-là. Si on a une interpellation inhabituelle, au lieu de se refermer il faut savoir être réactif.

Après je pense qu’il y a un défi d’ordre constitutionnel. Il faut élargir les domaines possibles des expérimentations démocratiques. Comme avoir des élus qui tournent, des représentants tirés au sort tous les ans.

Je pense que la richesse de la démocratie se trouve dans la multiplicité des expériences et des formes de participation parce que tout le monde est différent et a envie de participer de manière différente pour différentes raisons et à différents moments de sa vie. Il faut des outils de participation en ligne, des choses en face à face pour que le tout se complète.

Selon vous, un autre défi démocratique est de mieux éduquer à la citoyenneté dès le plus jeune âge…

Je compte explorer en quoi le community organizing peut être un outil d’éducation à la citoyenneté dès le plus jeune âge. A Londres, il y a des établissements scolaires qui sont membres de London Citizens dans le cadre de leur éducation à la citoyenneté. Ce qui permet aux enfants de développer une citoyenneté proactive contrairement à ce qu’on peut voir en France. C’est une caricature mais notre éducation à la citoyenneté rend les citoyens passifs et critiques alors que nous pourrions être plus proactifs et essayer d’identifier ensemble des solutions.

Plus il y a d’expériences et de moyens possibles de participer, plus la démocratie est riche. Ces richesses s’acquièrent dès le plus jeune âge. Pour être créatif en matière de démocratie, il faut avoir confiance dès le plus jeune âge en sa capacité d’action. Il faut être en mesure de se dire que dans une situation insatisfaisante, plutôt que de seulement râler, déprimer et ne plus voter : “je vais essayer de regrouper des personnes autour de moi qui sont d’accord, mener des actions, trouver des solutions, interpeller les élus”.

Références bibliographiques d’Hélène Balazard :
Agir en démocratie, Éditions de l’Atelier, 2015.
Ma cité s’organise, Community organizing et mobilisations dans les quartiers populaires, Mouvements, vol. 85, no. 1, 2016.

Pour en savoir plus sur le community organizing :
– Site de l’institut Alinsky : https://alinsky.fr/

Budget participatif et commission citoyenne : mode d’emploi

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En juillet dernier, le Département de la Dordogne a lancé son premier budget participatif. Souhaitant permettre aux citoyens de gérer une partie du budget, le Conseil Départemental est allé au bout de la démarche en associant son budget participatif à une commission citoyenne.   Cette dernière permet d’instaurer plus de délibération au sein d’un dispositif où les projecteurs sont le plus souvent tournés vers les chiffres de participation. Jean-Christophe Labails, conseiller technique au cabinet du Président du Département, Germinal PEIRO, nous précise le fonctionnement de la commission citoyenne du budget participatif Dordogne-Périgord.

Qu’est-ce que c’est une commission citoyenne ?

En bref, une commission citoyenne est un groupe composé de citoyens et (parfois) d’élus. Garants de l’intégrité de la démarche, ils sont chargés du suivi du budget participatif et de ses évolutions. D’une collectivité à une autre, les missions et la composition des commissions citoyennes diffèrent. La commission citoyenne du Département de la Dordogne est un exemple parmi d’autres mais la méthodologie employée ici est selon nous une belle source d’inspiration !

Pour Jean-Christophe Labails, la commission citoyenne est un organe du budget participatif, “le principe est de laisser les citoyens gérer une partie du budget d’investissement du Département”. Plutôt que confier intégralement le suivi du dispositif aux agents du Département, la Dordogne a fait le choix de créer une commission citoyenne pour déléguer une partie de la gestion aux citoyens. Dans les années à venir, l’objectif est de faire en sorte que le citoyen ait encore plus d’emprise sur le dispositif, “on est sur une première édition donc les élus ont décidé d’un règlement mais l’objectif est que les citoyens puissent le faire évoluer à l’avenir”. Puisque l’enveloppe budgétaire est votée, charge aux citoyens de s’en emparer comme ils le souhaitent !

Une composition mixte

La commission citoyenne de la Dordogne est composée de citoyens et d’élus, “le nombre d’élus respecte la proportion des groupes politiques du Conseil Départemental”. Du côté des citoyens, un appel a été lancé auprès des associations connues par le Département, “le Président les a informé de la tenue du budget participatif et de la création de la commission citoyenne. Il les a invité à suivre cette dynamique”. Au mois de septembre, la caravane du budget participatif qui a sillonné les marchés du département a également encouragé les citoyens à s’inscrire à la commission citoyenne. Ce sont les membres de la commission citoyenne qui ont décidé de la date de fermeture des inscriptions. Pour cette première édition du budget participatif, 115 membres composent la commission citoyenne. 

Une méthode de travail qui alterne présentiel et numérique

Chargée du suivi du budget participatif dans son ensemble, la commission citoyenne effectue des missions qui évoluent au gré des étapes de la démarche : définition des conditions de dépôt et de vote, instruction des idées, validation des projets soumis au vote, veille au bon déroulement de la campagne, évaluation de l’édition pour faire évoluer le règlement l’année suivante… La commission citoyenne n’a pas un simple rôle consultatif mais un réel pouvoir d’arbitrage, “toutes les idées ont été lues par les membres, tous les projets soumis ont été validés en amont du vote”. Les membres tiennent à appliquer le règlement à la virgule près !

Au cours de la démarche, la méthode d’instruction des idées a évoluée,  “en amont de de la commission citoyenne, une commission administrative, composée d’agents, se réunissait pour déterminer la recevabilité des idées sous un regard technique”. Cette commission administrative avait pour but de donner des pistes de réflexion aux membres de la commission citoyenne, “on s’est rendu compte que la plupart du temps, les avis de la commission administrative étaient les mêmes que ceux de la commission citoyenne”. Selon Jean-Christophe, “il y a toujours des raisons objectives pour accepter ou refuser un projet”. L’équipe chargée du budget participatif a progressivement allégé la procédure d’étude des projets après avoir observé que les citoyens pouvaient être relativement autonomes à ce sujet.

Une méthode d’instruction en ligne

De septembre jusqu’au mois de décembre, les membres se sont réunis 5 fois pour l’instruction des idées et plus récemment pour valider les résultats définitifs du budget participatif. L’originalité de la commission citoyenne de la Dordogne, réside dans sa méthode de travail qui alterne des temps de travail en plénière et des temps de travail à distance via la plateforme numérique, “dès la première réunion, ils ont voulu être associés en amont des réunions plénières à la réflexion sur les idées. Notamment parce qu’il y avait la question de la distance”. Pour ne pas pénaliser les membres qui ne peuvent pas se rendre à une réunion, un espace d’instruction privé a été configuré sur la plateforme numérique, “on a créé sur la plateforme un espace où ils pouvaient discuter en amont et déjà pré-établir des préconisations sur les idées”. Plus de 1700 commentaires ont été déposés sur la plateforme par les membres. La preuve que la commission citoyenne a créé une belle émulation collective chez ses membres !

Plus de garanties de transparence et d’intégrité de la démarche

Rien n’oblige une collectivité à mettre en place une commission citoyenne, mais vu les bienfaits observés il serait dommage de s’en priver ! Pour Jean-Christophe, la plus-value numéro 1 d’une commission citoyenne c’est la plus forte implication des citoyens qu’elle génère, “le fait d’être acteur, que les citoyens soient en capacité d’animer et de gérer le budget participatif eux-mêmes”. La seconde plus-value, c’est le gain de confiance des citoyens envers l’intégrité de la démarche, “ils ne peuvent pas avoir de suspicions sur la sincérité de la démarche. Des membres, rencontrés sur les marchés, se sont inscrits car ils étaient sceptiques. Ils nous disaient : on n’y croit plus. Nous les avons encouragés à s’inscrire pour voir d’eux-mêmes. Et ils voient bien que la commission citoyenne fonctionne”. Enfin, ce mode de fonctionnement permet aussi aux “membres de comprendre comment fonctionne une politique publique et comment vivre la décision politique. Ils se réapproprient un espace politique”. Des bénéfices observables pour l’ensemble des budgets participatifs mais qui sont renforcés grâce à l’introduction d’une commission citoyenne.

D’autres vertus sont visibles en interne, au sein de la collectivité. Notamment le changement de posture de l’agent qui passe de technicien à facilitateur de projet. Jean-Christophe prend l’exemple de la phase d’analyse des idées pendant laquelle les agents du Département ont reçu une feuille de route par les membres de la commission citoyenne, “certaines idées impliquaient des dépenses de fonctionnement et étaient donc hors règlement. Les membres nous ont donné comme mission de recontacter les porteurs pour transformer leurs idées. L’idée c’est d’accompagner le citoyen pour que son projet se réalise”. 

L’organisation de la commission citoyenne consomme beaucoup de temps de travail et nécessite de la réactivité. Jean-Christophe considère que créer une commission citoyenne “est plus lourd mais aussi plus intéressant et stimulant”. Que retenir donc de cette expérience ? Au delà des chiffres de participation, un groupe plus restreint qui fournit un travail qualitatif aussi précieux est également le symbole d’une belle vitalité citoyenne !

Pour en savoir plus sur le budget participatif Dordogne-Périgord.

Un musée archéologique à Montpézat

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Le premier Budget Participatif Gersois a donné vie à des projets assez hétérogènes. Il y a quelques semaines, nous vous présentions le projet de borne musicale pour les EHPAD de Lombez et Samatan porté par l’association Vivre Toujours. Aujourd’hui, nous faisons la connaissance d’Olivier et de son projet de centre d’exposition archéologique.

Olivier, retraité de l’industrie qui gérait un bureau d’études, est passionné d’archéologie depuis l’âge de 8 ans. Archéologue amateur, il parcourt sa région à la recherche de traces historiques, “nous faisons de la prospection pédestre sur le canton de Lombez. C’est à dire qu’au cours de nos randonnées dans les champs labourés nous essayons de découvrir des sites allant de la préhistoire au Moyen-Age”. Cette activité s’effectue en partenariat avec le Service Régional de l’Archéologie (SRA), “il faut avoir une autorisation de prospection. Toutes les traces qu’on peut trouver dans les champs sont inventoriées dans un rapport que nous remettons en fin d’année au SRA”. Par ce partenariat, Olivier a obligation de restituer à l’Etat tous les objets qu’il trouve.

Depuis deux ans à la retraite, il décide de créer une association : CERAMES (Centre d’Expositions et de Recherches Archéologiques de Montpézat En Savès), “l’idée de l’association est d’ouvrir un centre d’exposition archéologique, tout en poursuivant le travail de prospection”. L’association a signé une convention avec le SRA pour pouvoir conserver les objets collectés dans la région et les exposer à Montpézat. Séduits “par l’originalité d’un projet de musée en pleine campagne” l’association compte déjà plus d’une cinquantaine d’adhérents.

L’aménagement intérieur financé par le Budget Participatif Gersois

Le centre d’exposition va ouvrir dans un bâtiment qui appartient à Olivier. Il avait acheté il y a longtemps un terrain sur lequel est construit un ancien silo à grain en bon état. Sa passion archéologique prenant le dessus, il s’est dit : “Pourquoi ne pas transformer ce bâtiment en centre d’exposition ” ? Le lancement du budget participatif a boosté la concrétisation de son projet. “Lorsque nous avons appris le lancement du  budget participatif, je me suis dit que c’était une opportunité unique pour nous. C’était vraiment inespéré ! Nous avons  tout de suite postulé”. Grâce au budget participatif, le projet de centre d’exposition va bénéficier de 35000€ pour son aménagement intérieur : vitrines, éclairages, éléments audiovisuels, PC, vidéoprojecteur, écran, chaises et tables. Depuis un an et demi, les membres de l’association sont à pied d’œuvre pour ouvrir le centre d’exposition pour lequel l’inauguration est prévue au printemps 2020.

Le musée sera composé de trois espaces distincts. La première salle sera dédiée aux expositions de céramiques régionales. Un collectionneur de céramiques, datées du XVe siècle à nos jours, a prêté ses pièces à l’association. Le deuxième espace sera centré sur l’archéologie locale, “les plus beaux objets que nous avons trouvés dans la région ainsi que d’autres donnés par des collectionneurs locaux”. Enfin, le troisième espace accueillera des expositions temporaires pas uniquement en lien avec l’archéologie, “des expositions sur des peintures ou des sculptures d’artistes locaux par exemple”.

Valoriser le patrimoine local

Les motivations d’Olivier à l’origine de ce projet sont multiples. La première est de “donner un coup de pouce au village”. En faire un lieu de passage pour que les touristes s’arrêtent à Montpézat et ainsi valoriser le patrimoine local. La seconde a un objectif plus pédagogique, “accueillir des classes de l’école primaire jusqu’au lycée. Faire des animations autour de l’archéologie et de l’histoire locale et aussi intéresser les archéologues professionnels et étudiants en archéologie des universités de Toulouse et Bordeaux”.

Soutenu par la population et les élus locaux, le projet de centre d’exposition archéologique a récolté 630 voix au premier Budget Participatif Gersois. Pour suivre la réalisation du projet, rendez-vous sur le site web de l’association CERAMES : https://associationarcheologiquecerames.wordpress.com/.

Pour suivre l’actualité du Budget Participatif Gersois, cliquez ici !

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Présentation et méthode du Forum des projets de la Ville de Lanester

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Depuis la première édition de son budget participatif, la Ville de Lanester (56) a intégré à sa démarche un “Forum des projets”. Si cette appellation est utilisée par d’autres collectivités comme Grenoble, le forum des projets lanestérien se distingue par sa méthodologie et ses objectifs. Nous avons échangé avec Marie-Noëlle Guyomard, Responsable du Service Vie Citoyenne de la Ville de Lanester pour vous présenter les spécificités de ce dispositif.

En soi, le Forum des projets lanestérien est une réunion publique organisée après la phase de dépôt des projets et avant la phase d’instruction technique du budget participatif. Une réunion publique pas si classique pour un budget participatif. La réunion est composée de deux parties principales : un temps de présentation des projets déposés, suivi d’un temps de vote, entrecoupés de temps plus récréatifs (yoga du rire, sophrologie, danse tahitienne par exemple) proposés notamment par des associations lanestériennes et de moments pédagogiques sur la construction budgétaire publique.

Présentation des projets déposés. Source : Ville de Lanester.

 

Marie-Noëlle Guyomard, explique que le but du Forum des projets est que les habitants choisissent les 10 projets qui vont à l’instruction” et opère donc comme un filtre. L’une des originalités du budget participatif lanestérien se trouve dans cette première phase de vote, qui vient s’ajouter à l’habituel vote final pour élire les projets lauréats.

Une méthode de sélection qui allie numérique et présentiel

Concrètement, le choix des projets sélectionnés pour l’instruction se réalise grâce à une méthodologie spécifique. Deux types de votes sont pris en compte :

  • Les votes sur la plateforme numérique du budget participatif. Un vote “Pour” le projet est égal à un point.
  • Les votes des participants au Forum des projets. La technique utilisée est celle du vote préférentiel. Les participants choisissent 4 projets différents. Le choix n°1 = 8 points, le choix n°2 = 6 points, le choix n°3 = 4 points et le choix n° 4 = 2 points. Chaque participant attribue donc 20 points aux projets.

Dépouillement des votes. Source : Ville de Lanester.

 

Ces deux manières de voter présentent un double intérêt. Marie-Noëlle observe que “le fait de faire voter en ligne les habitants, crée de la dynamique sur la plateforme”. Une grande dynamique même puisque plus de 4000 personnes sont inscrites sur la plateforme (soit 19% de la population) ! Elle poursuit : “et puis, comme on attribue plus de points au vote physique que sur la plateforme, ça crée un intérêt supplémentaire à participer au Forum des projets”. Cette méthode permet également de limiter “l’effet lobby”. Etant donné que les porteurs de projets vont devoir attribuer des points à d’autres projets, “ils sont obligés d’aller écouter les présentations des autres projets. Parce que sinon les porteurs de projets ne viendraient que pour voter pour leur projet sans écouter les autres”.

Lors de la première édition du budget participatif, le vote en ligne et le vote physique avaient le même poids. Cependant, “les porteurs de projets ne voyaient pas l’intérêt de venir au Forum des projets, pensant que tout était joué d’avance sur la plateforme”. Après avoir rectifié le tir et donné plus d’importance au vote physique, les services de la Ville ont remarqué une hausse de la participation au Forum des projets. En bref, le Forum des projets de Lanester est un très bon exemple d’articulation entre des outils numériques et présentiels de participation citoyenne !

Dynamique, inclusion et réduction de la charge de travail

Les motifs d’introduction d’un vote avant l’instruction des projets sont multiples. Le premier est d’alléger la charge de travail des services, “les habitants déposent une centaine de projets par an environ. C’est un moyen de ne pas tous les instruire pour ne pas mettre trop de pression sur les collègues des autres services”. D’autant plus que le souhait de la Ville est de créer un lien de proximité entre les élus, les services et les porteurs de projets, “si on avait une centaine de projets à instruire, cette proximité serait impossible”.

Par ailleurs, le Forum des projets permet de créer de l’émulation collective dès le début du budget participatif. En effet, vu que seulement 10 projets sont retenus pour l’instruction, les porteurs de projets sont encouragés à faire campagne dès la phase de dépôt, “c’est un peu comme un jeu. On (le porteur) sait que notre projet n’ira peut-être pas jusqu’au bout mais on se donne les moyens de le faire passer”. Alors que pour la plupart des budgets participatifs, les porteurs de projets ne sont invités à faire campagne que lors du vote final, à Lanester ils s’impliquent tôt dans la démarche, “le côté campagne électorale qui existe d’habitude sur la phase finale, il existe déjà avant le Forum des projets”. Pour que leur projet soit sélectionné pour l’instruction, les porteurs de projets vont généralement “mobiliser leur réseau et informer sur les réseaux sociaux”.

Présentation des porteurs de projets qui vont à l’instruction. Source : Ville de Lanester.

 

Enfin, si les outils numériques et présentiels sont utilisés de façon complémentaire, c’est aussi dans un souci d’inclusion, ”notre objectif est de rendre la démarche la plus accessible possible, que tous les gens la connaisse et se l’approprie d’une manière ou d’une autre”. Que ce soit via le numérique, “la plateforme numérique permet de toucher des personnes qu’on ne toucherait pas, comme les parents et les actifs”, ou via la dimension présentielle, “on a les gens qui viennent parce qu’ils connaissent un porteur de projet et que le porteur a fédéré autour de lui. D’autres viennent car ils n’ont pas voté en ligne car ils ne sont pas à l’aise avec le numérique. C’est un moyen de participer physiquement, notamment pour les personnes plus âgées. Beaucoup de jeunes sont venus aussi. Soit pour défendre leur projet, soit pour accompagner leurs parents”. La participation au budget participatif est ouverte aux habitants dès l’âge de 9 ans et est souvent l’occasion d’un acte symbolique : le premier vote.

De la recevabilité à la faisabilité des projets

Vous l’avez compris, le Forum des projets opère comme un premier filtre avant l’instruction. Lors de la phase de dépôt, le Service Vie Citoyenne étudie la recevabilité du projet, c’est-à-dire s’il correspond aux critères d’éligibilité. Ensuite, le rôle de l’instruction est de vérifier la faisabilité technique, juridique et financière du projet. Si bien que les 10 projets sélectionnés au Forum des projets ne sont pas certains de participer au vote final, “il y a des projets qui vont à l’instruction et qui peuvent se révéler non faisables. D’autres projets vont être, toujours avec l’accord des porteurs, fusionnés par exemple. L’année dernière, seulement 8 projets ont été soumis au vote”. La gestion de la masse de projets déposés lors d’un budget participatif est souvent une problématique rencontrée par les collectivités et la Ville de Lanester a résolu ce problème. Une expérience qui pourrait inspirer d’autres collectivités !

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De la musique pour les aînés de Lombez et Samatan

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La première édition du budget participatif gersois, en 2018, a été riche ! Riche d’échanges, de participations et de projets porteurs de sens. Le projet que nous allons présenter en fait partie. L’association Vivre Toujours et son projet “De la musique pour nos aînés” est lauréate du budget participatif avec 605 voix. Annie Fenieys, Présidente de l’association, a accepté de nous présenter ce projet qui a été inauguré en mars dernier.

Commençons par les présentations. « Vivre Toujours » est une association intercommunale qui intervient auprès de deux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d’une unité de soins de longue durée (USLD). Un des EHPAD et l’USLD se situent à Lombez, tandis que le second EHPAD se situe à Samatan. Les deux communes sont très proches géographiquement. Depuis ses 30 ans d’existence, “le but de l’association est d’amener un plus aux personnes âgées en finançant tout ou partie des animations proposées au sein de la maison de retraite”. En somme, d’améliorer les conditions de vie des résidents en menant diverses actions : “on organise des fêtes de famille, on investit dans du matériel comme un mini-bus, on finance des sorties au restaurant, etc”. L’association contribue ainsi à faire des maisons de retraite de véritables lieux de vies où les résidents « vivent toujours ».

Le budget participatif : une occasion à ne pas rater

Le lancement du budget participatif par le Département du Gers était une formidable occasion pour l’association de concrétiser l’un de ses projets, “on a su que M. Martin (Philippe Martin, Président du Département) lançait ce budget participatif et on a été présents”. L’association avait depuis longtemps le projet d’équiper chacun des deux EHPAD de bornes musicales, “on essayait de les financer grâce à des subventions et des dons mais on ne peut pas réunir d’emblée une subvention de 5000/6000€”. Le budget participatif tombait donc à pic ! Il a financé l’une des deux bornes. Avec le recul, l’association regrette de ne pas avoir intégré deux bornes dans son projet au budget participatif.

Ces bornes permettent “d’écouter de la musique mais aussi de faire des jeux : loto, quizz musical, karaoké”. La grande plus-value de ces bornes musicales est leur mobilité, “elle peut aller de chambre en chambre. Un résident qui ne peut pas se mouvoir, on peut lui amener la borne musicale dans sa chambre. Il choisit alors sa musique préférée, il peut écouter un récit ou choisir d’autres fonctionnalités”.

Cet équipement répond parfaitement aux problématiques rencontrées par les EHPAD. Le vieillissement et la dépendance accrue des résidents augmente le besoin de prise en charge individuelle, “jusqu’à présent les résidents sortaient de leur chambre pour rejoindre un espace commun où on leur proposait des lotos, des animations diverses (…) quelqu’un de très dépendant ne peut pas toujours sortir de sa chambre”. Ainsi, la borne musicale permet une plus grande disponibilité des animatrices, “l’animatrice peut organiser un loto en rassemblant les résidents dans une salle commune mais auparavant elle peut amener la borne dans une chambre et faire écouter de la musique ou un récit au résident qui ne peut pas se déplacer ”.

“C’est une initiative géniale”

Annie est conquise par le budget participatif et trouve que “c’est une initiative géniale”. Elle voit ce dispositif de participation citoyenne comme un formidable moyen pour récolter les besoins du territoire. Suite à ce succès, l’association n’exclut pas de déposer un nouveau projet lors d’une prochaine édition, “des tablettes pour aller sur Skype et permettre aux résidents alités de communiquer avec leur famille par exemple”. L’association Vivre Toujours et les Gersois dans leur ensemble ne manquent pas d’idées !

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Bricoler solidaire et durable, c’est possible !

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Le projet de “Bricothèque solidaire” de Robert a été plébiscité par le vote des habitants lors de l’édition 2017 du budget participatif de la Ville de Floirac. Habitant de Floirac depuis une dizaine d’années et sensible à l’action sociale, Robert a profité du budget participatif pour proposer son projet solidaire.

C’est lors du forum sur le budget participatif, que Robert a déposé son idée, “la Ville a réuni les habitants qui voulaient participer, il y a eu des ateliers de créés. J’ai pensé à ce projet”. Son constat est le suivant : “les gens ont souvent besoin d’outils pour bricoler, notamment dans les appartements, et acheter un outil peut s’avérer difficile pour certaines personnes en difficulté”. Robert a déposé son projet avant tout pour sa dimension solidaire. C’est par la suite qu’il a eu conscience de sa dimension écologique “une perceuse c’est 12 minutes d’utilisation sur sa durée de vie pour un prix relativement élevé”. Le prêt d’objet est, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), un moyen de réduire l’impact environnemental, à la fois en terme de ressources de matières premières et d’émission de CO2.

Des outils de bricolage disponibles gratuitement

Tout habitant de Floirac peut emprunter des outils à la bricothèque, “c’est gratuit et sans caution. La durée du prêt est de 7 jours”. Robert est le référent de la bricothèque auprès de la Ville de Floirac mais il n’est pas le seul habitant actif, “nous sommes 10 bénévoles, répartis sur 4 jours de la semaine (lundi, jeudi, vendredi et samedi)”. Depuis son ouverture au mois de juin 2018, la bricothèque a trouvé des adeptes puisqu’elle compte 70 adhérents et plus de 200 prêts de matériel.

Pendant la phase de vote, Robert n’a pas mené d’actions particulières. Il a simplement participé aux actions proposées par la Ville, “il y a eu des affichages, des journées de rencontres avec les habitants où tous les projets étaient présentés aux habitants”. Une fois que son projet a été déclaré lauréat, Robert a participé à des réunions avec les services techniques de la Ville. La bricothèque s’est installée dans un tiers-lieu à Floirac, “le local où on est hébergés se situe au Quartier Génial ».

Robert a expérimenté le budget participatif de la Ville dès la première édition et va s’en saisir de nouveau pour l’édition 2019, “je vais proposer un projet qui va s’adjoindre à la bricothèque : une formation des habitants à l’utilisation des outils et à la réalisation de petits travaux chez soi”. La suite logique du premier projet !

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À la découverte de “Madame Vélo” de Floirac

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La Ville de Floirac a lancé son premier budget participatif en 2017. Cette année-là, Muriel, nouvelle habitante de Floirac aurait pu être déclarée citoyenne de l’année. En effet, sur les cinq projets lauréats, Muriel a participé à l’élaboration de deux projets : un projet d’installation d’une tyrolienne dans un parc de la ville, soufflé par sa fille de 4 ans, et un projet de mise à disposition gratuite de vélos électriques aux habitants. C’est ce projet de vélos électriques sur lequel nous avons échangé.

Muriel a travaillé dans le milieu associatif avant de se reconvertir conductrice de bus, “je faisais la promotion du vélo comme moyen de déplacement en milieu urbain”. Lors d’une réunion d’informations sur la mise en place du budget participatif de la Ville, elle a rencontré Marie et Claire avec qui elle partageait “les mêmes questionnements”. Ces trois floiracaises décident alors de mettre en commun leurs connaissances et leurs compétences pour déposer leur idée de mise à disposition de vélos électriques pour tous.

Le vélo pour gagner en autonomie

Chacune avait des sensibilités différentes : “j’insistais beaucoup sur le local et donc je voulais qu’on se fournisse chez un vélociste local. Les filles avec qui je bossais étaient très sensibles à la promotion du vélo par le prisme des femmes”. Muriel complète : “à Floirac, on a beaucoup ce qu’on appelle des “mamans poussette” qui sont souvent captives de cette poussette et des enfants. Leur rayon d’action est limité. Ce qu’on voulait, c’est qu’elles puissent circuler plus facilement”. Les porteuses du projet pensent que le vélo peut être un moyen de gagner en autonomie pour ces femmes mais aussi pour tout habitant.

De plus, « la topographie de la ville est un peu particulière : elle a un haut et un bas Floirac ». Les deux parties de la Ville ne sont pas suffisamment reliées : « on n’a pas de vraie navette qui va en haut et en bas » et limitent donc les déplacements. Un des objectifs du projet était ainsi de « trouver des points de chute pour les vélos aussi bien en haut qu’en bas. De sorte que ces mamans poussettes se déplacent en haut et en bas » autant qu’elles le désirent.

Pour convaincre les Floiracais de voter pour le projet, Muriel et Marie ont mené quelques actions : “comme j’avais une page Facebook assez active sur la question du vélo dans la métropole bordelaise, je relayais le projet dessus et auprès des journalistes locaux”. Par ailleurs, “la Ville proposait aux porteurs de projets de tenir des stands (lors d’événements locaux) pour présenter leurs projets”.

Un projet porté du début à la fin

Une fois le projet élu, Muriel a fourni une importante dose de travail bénévole pour mener à bien le projet, “ce que j’ai apprécié dans la démarche de budget participatif, c’est qu’il ne suffisait pas de proposer une idée. On donne une idée, il faut la faire vivre jusqu’au bout”. Grâce à ses connaissances, Muriel a pu proposer des devis détaillés à la Ville, notamment sur les modèles de vélos, leur autonomie, leurs équipements, etc.

Pour emprunter un vélo, la démarche est la suivante : “il faut passer à la mairie pour faire établir une carte et signer une charte d’utilisation. Le but est de responsabiliser les gens par rapport au coût du matériel qui leur est prêté. L’utilisation est gratuite car le frein économique est énorme pour une partie de la population”. Un an après la réalisation du projet, les vélos triporteurs ont du succès et sont régulièrement utilisés par des familles.

Ainsi, le projet “Vélos électriques pour tous” répond avant tout à des problématiques d’autonomie et d’économie. Les porteuses du projet étaient déjà équipées en vélo, il n’était donc pas question de leur propre intérêt personnel, “les vélos je ne les ai pas empruntés une seule fois. Je veux seulement que les floiracais les utilisent et s’en emparent”. Mais le budget participatif a également permis à Muriel, aussi appelée “Madame Vélo”, de l’aider à s’intégrer socialement, “le budget participatif a été une bonne expérience en tous points : humainement, techniquement”.

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La démocratie directe au chevet de la démocratie représentative ? Entretien avec Dimitri Courant.

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Suite de notre entretien avec Dimitri Courant, chercheur en science politique à l’Université de Lausanne et l’Université Paris 8. Après avoir analysé le grand débat national et la généalogie du mot “Démocratie” dans le premier épisode, c’est au tour de la démocratie directe et plus particulièrement du référendum d’initiative citoyenne (RIC) d’être décryptés. Entretien réalisé le 15 avril 2019.

Nous pouvons penser qu’instaurer le RIC va à l’encontre des intérêts des élus… Pensez-vous que le système représentatif est arrivé à un stade suffisamment critique pour instaurer le RIC de lui-même ?

Je ne saurai pas vous le dire. Le fait est qu’à l’heure actuelle le système représentatif est vraiment menacé par des menaces directes à son encontre, y compris les mobilisations de corps. Mais l’apathie politique, le fait que personne n’aille voter lors des élections, le système représentatif s’en contente très bien. Si seulement 2% du corps électoral allait voter, tant qu’ils sont élus, ils continueront à dire qu’ils sont légitimes. Dans le système d’élections à deux tours, on voit bien que le candidat qu’on a à la fin comme élu de la nation est élu avec un score assez ridicule. Il ne faut pas l’oublier. Donc le système représentatif s’adapte selon les forces d’opposition qui l’empêchent de continuer à fonctionner.

Le système de RIC renforce le parlement puisqu’il permet aux parlementaires de faire un contre-projet. C’est à dire qu’à chaque fois qu’il y a un RIC, il est possible que le parlement se mette d’accord pour proposer un autre projet.

Ce n’est pas vrai quand on dit que le RIC affaiblit le pouvoir des élus. Quand on regarde en Suisse, ils ont un parlement infiniment plus utile que le parlement français. Le parlement français est réduit à une portion congrue avec la discipline majoritaire, le 49:3, les décrets et les ordonnances. Alors que le parlement suisse est un lieu où il se passe plus de choses. Il y a plus de débats, plus de coconstruction, plus d’écoute. Les élus français disent beaucoup de choses fausses sur la démocratie directe, car ils n’étudient pas les systèmes étrangers, ou pour certains car ils déforment la réalité en connaissance de causes. Donc ils prétendent que le RIC ce sera la fin du parlement, la fin du débat et la fin des amendements, etc. C’est faux et ce sont les anciens présidents et parlementaires suisse qui le disent. Lors d’une conférence récente sur le système suisse avec des professeurs de droits et des parlementaires, tous disaient que le système de RIC renforce le parlement puisqu’il permet aux parlementaires de faire un contre-projet. C’est à dire qu’à chaque fois qu’il y a un RIC, il est possible que le parlement se mette d’accord pour proposer un autre projet. Dans ce cas, ça devient un vote à choix multiples.

Dans les faits, la démocratie directe cohabite bien avec la démocratie parlementaire ?

Oui, les suisses ne votent pas tous les matins, c’est très compliqué d’obtenir le nombre de signatures à atteindre donc toutes les initiatives n’aboutissent pas. Quand bien même il y en a qui aboutissent, il y en a à peu près 10% qui sont acceptées par la population. Donc ce n’est pas comme si tout changeait tout le temps. Pour l’instant il y a 22 initiatives confédérales qui ont été acceptées. Mais cependant de manière intéressante, il y en a plus d’une centaine qui ont été retirées. Le comité référendaire, le comité qui a déposé la proposition, retire son initiative parce que le parlement s’en est emparée et a fait une proposition de loi jugée satisfaisante. Il y a donc beaucoup plus d’initiatives qui ont été retirées que d’initiatives ayant été approuvées par vote.

Un parlementaire qui croit au parlementarisme devrait être en faveur de la démocratie directe.

Dire qu’il n’y aura plus de représentants si on met en place un système de démocratie directe est une croyance fausse. Il y a des représentants en Suisse et dans les Etats américains qui ont ce type de mécanisme. C’est un fait et non pas une opinion. Un parlementaire qui croit au parlementarisme devrait être en faveur de la démocratie directe. Ça lui permet justement de ne pas être esclave du gouvernement. Si vous êtes dans la majorité, il y a un gros turnover donc vous avez des chances de ne pas rester et si vous êtes dans l’opposition, vous avez des chances de voir certaines de vos propositions passer grâce au RIC. Aujourd’hui, chaque groupe parlementaire reste sur sa ligne, c’est la guerre de tranchée, il n’y a pas de coopération.

Avec l’élection, le problème c’est qu’il faut voter pour tout le paquet. Il faut que le parti vous plaise, que le candidat vous plaise, le programme vous plaise, le bilan vous plaise. Si vous êtes d’accord avec la politique sociale mais pas avec la politique étrangère, vous devez quand même prendre le tout. Donc les gens ils votent pour quoi ? On se rend compte que les gens lisent très peu les programmes. Il n’y a pas de mandat impératif donc le programme peut changer en cours de mandat. Alors que dans un système de référendum, sur des mesures comme la privatisation d’ADP ou la privatisation des autoroutes, des gens qui ont voté pour des candidats opposés peuvent se rejoindre sur l’importance de conserver des infrastructures publiques d’Etat. On ne peut plus figer le rapport de force dans des clivages politiciens.

Selon vous, quelles mesures faudrait-il mettre en place en priorité pour faire évoluer notre démocratie ?

Je suis très favorable au tirage au sort car je vois à quel point cela peut permettre d’aboutir à des décisions intelligentes, bien pensées, bien travaillées dans le cadre d’observations que je conduis directement sur le terrain. Après, d’un point de vue purement stratégique et pragmatique, je pense qu’il est plus simple de vendre le RIC.

Il y a environ entre 20 et 30% des français qui sont satisfaits de leur système politique, contre 80% en Suisse.

L’avantage du RIC, c’est qu’il existe depuis longtemps des cas réels et donc on peut démonter les arguments de spéculations apocalyptiques, du type : “ça sera le chaos, on votera tous les jours, les représentants vont disparaître”. Non. Si vous trouvez un seul pays où c’est arrivé vous m’intéressez. En revanche on a une quarantaine d’exemples où ça ne s’est pas du tout passé comme ça. C’est plus simple à vendre. Il y a entre 20 et 30% des français qui sont satisfaits de leur système politique, contre 80% en Suisse. L’avantage du RIC c’est qu’il permet aux citoyens de faire par eux-mêmes des lois et sans avoir besoin de faire appel à des représentants. Le geste reste le même, c’est mettre un bulletin dans l’urne. Non pas avec le nom d’un candidat mais avec la réponse à une question.

Dans la pratique politique, le geste change assez peu. C’est pour ça que c’est plus simple à vendre que le tirage au sort et que les gilets jaunes s’en sont emparés davantage. Pour le tirage au sort, il y a des exemples aussi mais c’est plus confidentiel et à des niveaux plus expérimentaux. Des analyses empiriques, fouillées d’expériences de tirage au sort il n’y en a pas tant que ça. Il n’y a pas de parlement dans le monde tiré au sort, ça n’existe pas. Si la France décide de s’y mettre et de remplacer le Sénat par une chambre tirée au sort, j’y suis favorable mais là on sera pionniers.

Néanmoins, l’inconvénient que je vois dans le RIC, c’est qu’il fait un présupposé intéressant mais important. Celui de considérer que les citoyens ont les ressources, la volonté et le temps de se mobiliser pour beaucoup de choses. Ce qui est un pari osé quand on connaît la sociologie de Bourdieu qui montre les inégalités de capitaux entre les différents agents sociaux dans la structure sociale. L’abstention est socialement située. Ce sont les milieux défavorisés qui ont tendance à s’abstenir. A l’inverse, l’activisme dans les partis politiques, c’est plutôt dans les milieux aisés, en termes d’éducation, de capitaux sociaux, etc.

Est-ce que le RIC contribue à diminuer les inégalités politiques au sein de la population ?

Le RIC augmente généralement le niveau de connaissance politique de la population. Ça a bien un effet positif. Mais il faut savoir que quand on parle du RIC, il y a 4 niveaux à distinguer :

  • Le premier c’est de lancer une initiative. Quand on regarde les compositions des comités d’initiative, on retrouve des dominants sociaux en majorité. Des gens qui ont été à l’université, qui sont implantés localement, des responsables associatifs ou syndicaux. Cette année il y a eu une initiative sur l’écornage des vaches lancée par un fermier du fin fond de la Suisse rurale, là pour le coup c’était vraiment du bottom up. Oui, la possibilité existe que des milieux moins favorisés socialement lancent des initiatives. Mais considérer qu’il est simple de lancer une initiative référendaire, tout comme créer un parti politique, est faux.
  • Le deuxième c’est ceux qui vont mener la campagne. Là les profils s’élargissent un peu plus. Le nombre minimum de personnes pour lancer un comité d’initiative c’est 7. C’est moins personnifiant et monarchique qu’une présidentielle. Mais à nouveau il faut du temps pour s’y consacrer. Il ne faut pas avoir des journées de boulot harassantes pour pouvoir sur son temps libre aller faire signer la pétition.
  • Ensuite il y a ceux qui signent, c’est un investissement beaucoup plus minimal et là je n’ai pas de données précises à communiquer.
  • Enfin il y a ceux qui votent. On peut très bien ne pas avoir fait campagne pour l’initiative, ne pas l’avoir signée pour que l’initiative ait lieu et voter pour elle… ou contre elle. C’est déjà mieux que de ne « voter » qu’une fois tous les 5 ans pour monsieur Truc ou madame Machin, mais ce n’est quand même pas évident.

Si vous êtes dans une situation où à cause de vos capitaux sociaux vous n’avez pas le temps de lancer des initiatives, de faire campagne et de vous intéresser aux enjeux, vous êtes dans une situation de dépendance vis-à-vis d’autres groupes sociaux lors d’initiatives qui pourraient potentiellement vous intéresser. Il y a des formes d’inégalités qui demeurent.

Alors que l’avantage avec le tirage au sort de « mini-publics délibératifs », c’est qu’on revient à une logique de représentativité, en permettant à des catégories sociales sous-représentées ou non représentées d’être présentes dans le jeu politique et de restituer leur expérience et ressenti concret de la vie quotidienne. Vous avez en effet une possibilité d’intégrer ces catégories qui dans un système de démocratie directe, ou pire dans un système électif, sont toujours en marge. C’est ça l’avantage du tirage au sort, c’est d’avoir une représentation réellement représentative au sens socio-démographique du terme et non pas une représentation d’élus socialement distinct qui parlent pour tous les autres.

Accès vers le premier entretien sur le grand débat national et la généalogie du mot “Démocratie”.

 

Publications de Dimitri Courant

Dimitri Courant (2018a), « Penser le tirage au sort. Modes de sélection, cadres délibératifs et principes démocratiques », in Chollet A., Fontaine A. (dir.), Expériences du tirage au sort en Suisse et en Europe : un état des lieux, Berne, Schriftenreihe der Bibliothek am Guisanplatz, p. 257-282.

(2019a), « Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et constitution », La Vie des Idées.

(2019b), « Petit bilan du Grand Débat National », AOC.

(2019c), « Délibération et tirage au sort au sein d’une institution permanente. Le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire (1968-2016) », Participations, vol. 23, n°1.

Sommes-nous en démocratie ? Analyse du grand débat national et généalogie du mot “démocratie” avec Dimitri Courant.

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En réponse au mouvement des gilets jaunes, le gouvernement a lancé une initiative inédite à travers le Grand débat national. Maintenant que cette démarche est achevée, nous avons proposé à Dimitri Courant de nous partager ses observations. Dimitri Courant est chercheur en science politique à l’Université de Lausanne et l’Université de Paris 8. Il est spécialiste des démarches de démocratie délibérative et de démocratie directe. Entretien réalisé le 15 avril 2019.

Vous avez assisté à quelques conférences citoyennes régionales dans le cadre du Grand débat national. Quelles sont vos observations principales ?

J’ai assisté à deux conférences citoyennes régionales, une à Dijon et l’autre à Paris. De manière générale, le grand débat est marqué par un manque d’articulation entre les différents dispositifs. Vous avez des contributions en ligne et des réunions qui ne communiquent pas et qui n’ont pas alimenté les conférences citoyennes car il n’y avait pas de synthèses sur lesquelles travailler. Ce qui aurait dû être la synthèse finale, les conférences citoyennes, ne communiquaient pas non plus entre elles. Même jusqu’aux tables il y avait une architecture en silo. Chacun était dans son coin et il n’y avait pas d’articulations.

Finalement, il n’y a pas eu de délibération puisque le site internet ne permettait pas de réagir aux contributions des autres. Dans les réunions d’initiatives locales, j’ai eu l’occasion d’observer deux formats : le format de l’assemblée plénière avec une succession de monologues, ou chacun prend la parole et une succession de “moi je pense que”, ou alors le fonctionnement en tables où là ça discutait un petit peu plus mais on reprenait globalement le contenu des questionnaires. Ça conduisait à des débats relativement pauvres et très cadrés.

Les conférences citoyennes régionales ne permettaient pas plus de délibération ?

Même lors des conférences citoyennes régionales, chacun était à sa table (des groupes de 8 ou 6 personnes placées de manières aléatoires à une table) mais il y a eu peu d’échanges entre les tables. Il y avait deux ou trois plénières assez rapides. Ce n’est pas suffisant pour créer de l’intelligence collective.

Il y a eu un moment de séquence mobile où vous aviez le droit d’aller à la table d’à côté (et donc changer de thème). Mais c’était très court et tellement tard dans le processus que les participants pouvaient seulement réagir aux idées des autres. Si quelqu’un avait quelque chose d’intelligent à dire sur le sujet ce n’était pas possible de faire des implémentations majeures à ce stade.

Par exemple, si quelqu’un arrive à une table avec une idée très précise sur un format de référendum mais que les participants n’ont pas discuté précédemment de référendum ou de la participation au niveau local, vous ne pouviez pas donner l’idée sur laquelle vous vouliez travailler ou à laquelle vous aviez pensée.

Les citoyens ont dû délibérer avec leurs connaissances de base. On ne leur a pas permis d’auditionner des experts (…) c’est très limité par rapport au format classique des dispositifs délibératifs.

C’était le format le plus intéressant du grand débat puisqu’il y avait plus de temps qu’une réunion ou qu’un remplissage de questionnaires en ligne, il y avait un peu plus d’interaction, de diversité et de participation. Malgré tout, ça reste de la délibération à minima. Les citoyens ont dû délibérer avec leurs connaissances de base. On ne leur a pas permis d’auditionner des experts. Il y avait tout de même un fact-checker. Mais c’est très limité par rapport au format classique des dispositifs délibératifs : les jurys citoyens, les conférences de consensus, les assemblées citoyennes. Ces formats disposent d’une séquence où on auditionne des experts, des groupes d’intérêts, etc. Fort du recueil de ces informations factuelles, les participants font des propositions. Vu qu’il n’y avait aucune articulation entre les réunions, la plateforme numérique, les cahiers de doléances et les conférences nationales thématiques, les conférences citoyennes régionales repartaient à zéro.

Elles étaient certes qualitativement supérieures mais pas fondamentalement articulées au reste. J’ai fait l’observation de réunions, de contributions en ligne et de ces conférences citoyennes sur le thème de la démocratie. J’ai entendu les mêmes choses. Les conférences citoyennes ont eu un peu plus de temps pour donner leurs propositions mais on repartait plus au moins sur les mêmes débats. On en arrivait seulement à une ou deux propositions par table. Et en plus la logique de la prise de consensus faisait que si vous étiez un peu radical et calé sur un sujet, votre proposition n’allait pas être retenue. Les propositions qui sont sorties ne sont pas nulles mais c’est du consensus mou (sur l’éducation, le tri des déchets, etc). La valeur ajoutée des conférences citoyennes régionales n’est pas insignifiante mais n’est pas immense non plus.

A l’instar d’autres chercheurs comme Francis Dupuis-Déri, vous considérez que notre système politique, appelé démocratie représentative, n’est pas véritablement démocratique. Est-ce que vous pouvez expliquer en quoi l’élection n’est pas démocratique selon-vous ?

Il y a plusieurs éléments de réponses. Il y a l’analyse généalogique faite par Bernard Manin ou Francis Dupuis-Déri qui ont montré que l’intention initiale des fondateurs du gouvernement représentatif n’était pas de créer une démocratie mais un système d’aristocratie élective. Ils ont aussi montré que dans l’histoire de la pensée politique occidentale, l’élection est associée à l’aristocratie (aristoi : les meilleurs, kratos : pouvoir), on donne le pouvoir aux meilleurs. Dans une élection on tente de choisir le meilleur et non le pire. C’est évidemment subjectif mais ce système-là est fondé et pensé pour donner le pouvoir à une élite.

Il n’y a pas vraiment de débat à avoir sur l’origine du caractère anti-démocratique de notre système politique. On a des traces et des archives.

Généalogiquement parlant c’est compliqué d’appeler notre système politique une démocratie. Ça c’est un fait historique, il n’y a pas vraiment de débat à avoir sur l’origine du caractère anti-démocratique de notre système politique. On a des traces et des archives. Pendant très longtemps, tous les penseurs et tout le monde sait que la démocratie ça veut dire le pouvoir au peuple. Pour tous les pères constituants, Maddison, Sieyès, Hamilton, ou des philosophes comme Rousseau, Montesquieu et compagnie c’est bien cela.

Après il y a d’autres manières de voir les choses. Certains disent qu’à partir du moment où le suffrage universel a été instauré (pour les hommes), ça devient la démocratie puisqu’avant c’était le suffrage censitaire. Certes le suffrage censitaire était un système violent mais dans la bouche des constituants de l’époque ce n’est pas ça qui fait la nature démocratique du système.

D’autres disent que c’est à partir du moment où on commence à avoir des droits comme le droit de grève, la presse libre, le droit d’expression, les syndicats et les partis politiques que ça commence à se démocratiser et donc qu’on peut appeler ça démocratie.

Il y a une dernière lecture qui dit, étant donné que le système dans lequel les élites ont le pouvoir est toujours celui dans lequel nous vivons, il n’y a pas eu de changement fondamental. C’est ce que montre Dupuis-Déri sur les moments où le mot bascule. Le mot démocratie est au début péjoratif et il devient progressivement étiqueté positivement.

Qu’en est-il de notre système politique actuel ?

A l’heure actuelle, un gouvernement peut être élu avec une minorité d’électeurs. Un gouvernement peut ne tenir aucune de ses promesses et subir comme unique conséquence de ne plus exercer le pouvoir. C’est comme si on disait : la seule chose qu’on fait aux gens qui ont saccagés les maisons ou les voitures qu’on leur prête, c’est de ne plus leur prêter la prochaine fois. Ce serait un peu limité que les juges rendent la justice comme ça. Je pense que cette manière de faire ne conviendrait pas à grand monde.

Quand on regarde les systèmes actuels, la suppression de l’impôt sur la fortune ne serait pas une mesure qu’on aurait adoptée si on avait un système de référendum puisque la majorité de la population était contre. Tout comme la baisse des aides pour le logement, la hausse de la CSG, la privatisation de l’Aéroport de Paris, etc. Le fait qu’on puisse avoir un gouvernement qui mène une politique, qui malgré les indicateurs économiques assez précis là-dessus, bénéficie à un petit pourcentage de très riches qui sont aussi ceux qui possèdent les médias et qui financent les campagnes électorales de ceux qui sont élus, ça donne un système qu’on ne peut pas appeler démocratie.

La démocratie ce n’est pas la paix entre les peuples, l’harmonie, la joie et les fleurs. La démocratie c’est bien le pouvoir au peuple.

On a eu tendance à écarteler le mot et à lui faire dire n’importe quoi. La démocratie ce n’est pas la paix entre les peuples, l’harmonie, la joie et les fleurs. La démocratie c’est bien le pouvoir au peuple. Il faut voir ce qu’est le peuple et ce qu’est le pouvoir mais une question se pose sincèrement : Est-ce que le fait qu’une partie du peuple, une minorité, se prononce dans des élections cadrées avec des candidats présélectionnés tous les 5 ans pour donner tous les pouvoirs à une personne, est-ce que c’est ça détenir le pouvoir, la souveraineté ? Je pense qu’on n’est pas dans une analyse très sérieuse.

On le voit bien, quand il y a des réels conflits entre le peuple et ces élites, elles reculent relativement rarement : Sarkozy sur les retraites, Hollande sur la loi travail, Macron sur l’ISF. Dans énormément de pays c’est la même chose. Il y a des analyses qui montrent bien qu’on revient à des inégalités hallucinantes. Si on était dans un système où le peuple avait vraiment le contrôle… La démocratie c’est aussi le pouvoir aux pauvres. A l’heure actuelle qui peut dire que les pauvres ont le pouvoir ? On sait que ce n’est absolument pas le cas. Le pouvoir est détenu par une minorité de personnes qui font les lois. C’est donc au sens propre une oligarchie : un petit groupe qui garde le pouvoir. Ce n’est pas révolutionnaire de le dire.

A suivre, un nouvel article avec Dimitri Courant sur le référendum d’initiative citoyenne.

 

Publications de Dimitri Courant

Dimitri Courant (2018a), « Penser le tirage au sort. Modes de sélection, cadres délibératifs et principes démocratiques », in Chollet A., Fontaine A. (dir.), Expériences du tirage au sort en Suisse et en Europe : un état des lieux, Berne, Schriftenreihe der Bibliothek am Guisanplatz, p. 257-282.

(2019a), « Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et constitution », La Vie des Idées.

(2019b), « Petit bilan du Grand Débat National », AOC.

(2019c), « Délibération et tirage au sort au sein d’une institution permanente. Le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire (1968-2016) », Participations, vol. 23, n°1.