Super Saillans : commune la moins opaque de France (1/2)

La commune de Saillans (1 229 habitants) est arrivée subitement sous les feux des projecteurs des observateurs des innovations démocratiques au crépuscule des élections municipales de 2014. La raison : l’arrivée à la tête de la mairie d’une nouvelle équipe dont le crédo est « le politique c’est l’habitant ». Quatre ans après l’effet de surprise, iD City s’est entretenu avec Tristan Rechid, initiateur de la méthode de gouvernance partagée de Saillans, pour échanger sur les évolutions et le devenir de ce modèle participatif.

Le soulèvement citoyen Saillansons

Le sursaut d’origine provient de la décision unilatérale du maire sortant d’accepter l’installation d’un supermarché à l’entrée du village. Cet élément déclencheur a sonné le ras-le-bol d’une importante partie du village quant à des méthodes jugées « autoritaires » par Tristan Rechid. A 6 mois des élections municipales de 2014, les habitants de Saillans n’avaient guère le choix puisque seule une liste se représentait : celle du maire sortant. En posant ce constat, un groupe d’habitants s’est réuni et s’est posé une question : « est-ce que nous souhaitons subir ce type de fonctionnement pendant six années supplémentaires ? ». La réponse était de proposer une alternative radicalement différente : « On était à 6 mois des élections, on organise une réunion et on dit aux gens qu’on n’a ni programme ni candidat ». Le crédo « le politique c’est l’habitant » prend ici tout son sens puisque les candidats désignés sur la liste municipale n’ont pas pour rôle de définir un programme et de le proposer, mais bien d’accompagner l’émergence d’un programme produit par les habitants eux-mêmes. Tristan Rechid nous précise que dès le départ « il y a un renversement de paradigme qui considère qu’il ne s’agit pas seulement de consulter les habitants, mais que ce sont aux habitants de définir la pensée collective ».

Une méthode de gouvernance participative inédite

Une fois élue, à la surprise générale, la nouvelle équipe municipale dont aucun membre n’avait déjà eu de mandats a pu développer et expérimenter de nouvelles pratiques. La méthode de gouvernance participative de Saillans s’appuie sur trois principes. Le premier, c’est la transparence, c’est-à-dire l’accès de tous à l’information municipale. La collégialité est un deuxième principe qui conduit à répartir le pouvoir entre les mains de plusieurs personnes et non dans les mains d’une seule. Enfin, la participation des citoyens à la gestion de la commune est le troisième principe fondateur. Ce dernier vise à reconnaître et légitimer aux yeux de l’institution municipale l’expertise d’usage des habitants. Pour autant, le recours à l’expertise d’usage des habitants n’est pas exclusif selon Tristan Rechid : « il ne faut pas non plus tomber dans l’extrême et dire que l’habitant détient toutes les expertises. On fait appel à des experts quand on en a besoin. Mais il faut reconnaître comme élément central et comme pivot l’expertise d’usage ».

Dès lors, comment se prennent les décisions à Saillans ? Tristan Rechid nous explique que le schéma théorique de Saillans n’exclut pas la démocratie représentative : « elle ne posait pas de problème si on considérait que l’élu intègre l’organe exécutif et qu’il ne fait que représenter la parole des habitants ». Les décisions se prennent donc toujours au sein de l’organe exécutif réglementaire d’une commune, le conseil municipal. Cependant, à Saillans, il est demandé aux élus de ne pas présenter leur opinion personnelle mais plutôt : « de venir avec le fruit du travail qu’ils ont co-animé durant les séquences de co-construction avec les habitants ».

L’architecture participative originale de Saillans est composée de quatre espaces participatifs. Les commissions thématiques traitent des différentes compétences de la commune et même de certaines compétences extra-municipales desquelles la commune ne souhaite pas être complètement dépossédée (compétence économique par exemple). Tristan Rechid les décrit : « dans les commissions thématiques le but du jeu est de faire un diagnostic sur la thématique et d’envisager trois projets d’habitants à mettre en œuvre dans l’année ». Les projets issus de la réflexion des commissions thématiques sont précisés et élaborés au sein des Groupes action projet (GAP) : « Le Groupe action projet est une instance de co-construction, ce n’est plus une instance d’analyse mais bien de la co-construction de projets mis en exergue par les commissions thématiques » souligne Tristan Rechid. Une fois que les GAP ont finalisé leurs projets, les commissions thématiques dressent un bilan et étudient de nouvelles pistes d’action.

Schéma du fonctionnement collégial et participatif de la commune de Saillans

Source : http://www.mairiedesaillans26.fr/

Parallèlement aux deux premiers dispositifs, le Conseil des sages, renommé Observatoire de la participation, veille à la politique participative de la commune, puis « fait figure de laboratoire d’expérimentations, de recherches et produit des rapports pour les élus pour essayer de répondre aux dysfonctionnements observés ». Enfin, le dernier dispositif phare du schéma municipal participatif de Saillans est le comité de pilotage. Le bureau exécutif (aussi appelé bureau municipal dans d’autres communes) au sein duquel le maire et les élus de la majorité prenaient toutes les décisions au quotidien, lors de l’ancien mandat, a été supprimé. Tristan Rechid complète : « On l’a remplacé par un comité de pilotage où sont réunis tous les élus, y compris de l’opposition. Ils se voient tous les jeudi soir de 20h à 23h. Ces séquences se font en présence de tous les élus et est ouverte au public ». L’architecture participative de Saillans est ainsi composée d’un savant assemblage de diagnostics citoyens, de phases de co-construction, d’évaluations, d’expérimentations et d’une importante dose de transparence.

Un jury citoyen pour redynamiser la participation citoyenne

Après quelques années d’expérimentation du schéma participatif de Saillans, l’Observatoire de la participation a identifié quelques limites : « La difficulté des projets émergents via les groupes actions projet c’est qu’on pouvait parfois être à côté des projets structurants et plutôt sur des sujets annexes ». Le risque était de tomber à leur tour dans les travers classiques de multiples dispositifs de participation qui ne traitent que de sujets secondaires à faible enjeux politiques. Afin d’éviter ceci, la municipalité a lancé l’expérimentation d’un jury citoyen pour élaborer le nouveau Plan Local d’urbanisme (PLU) de la commune. Tristan Rechid nous présente les motivations de mise en œuvre de ce nouveau dispositif : « L’idée du jury citoyen, c’est partir du constat que les élus ne sont pas forcément plus formés que le reste des habitants sur les questions d’urbanisme. Il n’y a aucune raison pour qu’on considère que les élus sont plus à même que les habitants de définir un PLU ». Afin de décliner cette idée en pratique, la commune a procédé à un tirage au sort pour élargir le dispositif à des habitants qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer au sein des espaces participatifs. C’est aussi une garantie d’impartialité pour ne pas pouvoir être accusé d’élaborer un projet politiquement sensible entre sympathisants de la municipalité.

Ce processus de jury citoyen a débuté il y a un an et va plancher dessus pendant trois ans. Il est composé de cinq élus et de douze citoyens tirés au sort selon des critères d’âge, de répartition par quartier et selon la catégorie socio-professionnelle. Concrètement, le jury citoyen assiste à des formations sur l’urbanisme et effectue en parallèle un travail technique pour aboutir à la définition du nouveau PLU. Selon Tristan Rechid, ce processus délibératif permet l’empowerment des citoyens : « On permet à des habitants de se former sur des sujets complexes et ça permet aux habitants de commencer à toucher du doigts les arcanes du pouvoir et des prises de décisions dans une municipalité ». Si ce dispositif donne satisfaction, Tristan Rechid aimerait bien que la commune de Saillans l’utilise de nouveau sur d’autres sujets politiquement sensibles et l’intègre durablement dans ses pratiques.

De nombreux défis relevés et à venir

L’aventure de Saillans est ponctuée de défis vaillamment relevés. Un des plus remarquables est celui de la refonte des pratiques de transparence. Tristan Rechid affirme que Saillans est « la commune la moins opaque de France ». Nous ne pouvons le vérifier mais les actions réalisées soutiennent ce sentiment. Une des premières actions a été d’installer des panneaux d’affichages dans tous les quartiers du village, de sorte à assurer la diffusion des décisions prises. De même, un site Internet consigne l’ensemble des comptes rendus des réunions participatives menées (plusieurs centaines). Tristan Rechid précise la méthode : « Tout ce qui se passe à Saillans est consigné sur le site Internet avec des correcteurs bénévoles qui relisent tout et mettent en ligne ». La municipalité produit également une lettre d’information « mais non une lettre d’information de propagande » souligne notre interlocuteur. Ici, il ne s’agit pas de communiquer autour des actions menées par la commune mais de valoriser « les actions des habitants soutenues par la mairie ». Une subtilité qui a de l’importance et qui s’apparente à une des principales fonctions d’une mairie selon Tristan Rechid : « soutenir les projets des habitants, les projets intelligents, qui apportent une plus-value au village ». Une chose est certaine, si un habitant de Saillans cherche une information municipale, il la trouve.

Sur la dimension participation citoyenne, le laboratoire d’expérimentations de Saillans s’est appuyé pendant plusieurs années sur une équipe d’une vingtaine d’habitants volontaires pour animer les nombreuses réunions. Tristan Rechid a assuré quelques sessions de formation à ces habitants avant qu’ils se lancent dans le grand bain. Aujourd’hui, la mairie dispose d’un salarié en emploi aidé pour assurer les animations participatives. Vu le budget serré de la commune, la création de ce poste est une preuve supplémentaire que la participation citoyenne est une caractéristique fondamentale du projet politique de la municipalité. Dans la méthodologie de gouvernance partagée de Saillans, les réunions participatives sont préparées par un binôme composé d’un élu et d’un animateur. Pour garantir la sincérité des démarches, les réunions sont animées en tant que tel par les animateurs. Pour Tristan Rechid ce point est primordial car « on ne peut pas donner à la fois la possibilité de prendre la décision in fine et puis d’accompagner le processus de prise de décision ».

En terme quantitatif, les chiffres de participation de Saillans peuvent faire pâlir de nombreux élus et agents dédiés à la démocratie participative. Tristan Rechid affirme qu’une « centaine d’habitants sont plutôt actifs, voire très actifs » au sein des réunions participatives. Ce qui signifie qu’un habitant adulte sur neuf s’investit régulièrement pour la vie publique locale. Pourtant, ce chiffre qui explose les compteurs de participation de la plupart des communes ne satisfait pas notre interlocuteur : « De mon point de vue je ne trouve pas ça décevant mais je me dis que le chemin va être long ». Le radical changement de pratiques de Saillans a immédiatement séduit une partie de la population. Même une élue de l’opposition a « décidé de rentrer dans le jeu et être référente d’une commission thématique » en seulement six mois de bouleversements des pratiques.

Cependant, la méthode de gouvernance partagée semble se heurter à des facteurs culturels et éducatifs fortement ancrés chez une autre partie de la population (nous y reviendrons dans un prochain article). Le « bouleversement des consciences » souhaité par Tristan Rechid demande du temps et ne se produira que sur le moyen et le long terme. Hormis ces facteurs culturels, la municipalité se heurte plus classiquement au manque de temps disponible des habitants. Malgré l’essai de plusieurs jours et horaires de réunions, il demeure compliqué d’attirer les personnes ayant des contraintes professionnelles et familiales importantes.

En quatre ans d’existence, la méthodologie participative de Saillans a évolué au gré des expérimentations et des difficultés rencontrées. De nombreux défis et pistes d’évolution sont encore à venir et la municipalité conserve sa ligne de conduite : « le politique c’est l’habitant ». La spécificité de Saillans est finalement simple : la commune harmonise son discours et ses actions. Une politique identique en paroles et en actes. Néanmoins, dès l’arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe municipale et de sa méthode, la commune de Saillans est devenue un objet médiatique. Cette attention soudaine des médias n’est-elle pas révélatrice d’une anomalie démocratique ? Nous tenterons de décrypter ce phénomène dans notre prochain article.

Nous remercions Tristan Rechid de nous avoir accordé du temps pour réaliser cet entretien. Pour en savoir plus sur son activité, visitez le site www.democratiesvivantes.com.

Retrouvez dans quelques jours notre prochain article. Pour ne rien rater, suivez nous sur les réseaux sociaux : Twitter et Facebook