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Et si la démocratie s’invitait dans l’entreprise ?

Si l’association des citoyens aux décisions publiques se développe depuis plusieurs décennies en France, ce phénomène peine à se diffuser dans le monde du travail. Les travailleurs sont peu associés à la vie de leur entreprise et aux décisions qui la concernent (ses finalités, ses profits, les services/produits proposés, etc.). Ce que les sociologues appellent la “démocratisation du travail” apparaît pourtant comme une nécessité dans un contexte d’après-pandémie et de crise climatique, qui bouleverse notre rapport au travail et notre modèle économique. 

Nous avons échangé avec Isabelle Ferreras, sociologue et politologue, professeure à l’Université de Louvain, sur l’association des travailleurs aux décisions de leur entreprise, les enjeux que cela soulève, les freins auxquels elle fait face et les formes concrètes que cette participation pourrait prendre. 

Voici quelques bribes de cette conversation riche qui apporte de nouvelles pistes de réflexion sur l’organisation du travail telle qu’elle existe aujourd’hui en France…

  • Vos travaux portent sur la nécessité de donner plus de pouvoir aux travailleurs au sein de leur entreprise pour leur permettre de peser sur les décisions qui la concernent. En quoi ce n’est pas déjà le cas ? En quoi le fonctionnement des entreprises n’est pas démocratique ? 

Nous ne pouvons pas considérer aujourd’hui que le fonctionnement des entreprises soit démocratique en raison de ce que j’appelle la contradiction capitalisme/démocratie. 

Dans le champ politique, des règles de fonctionnement communes s’appliquent à tous et toutes en vertu de l’idéal démocratique. Ainsi, chaque citoyen dispose d’un droit de vote, égal à celui des autres, lui permettant d’élire ses représentants. Les mécanismes de représentation et d’élection existants sont perfectibles, mais des moyens sont mis en œuvre pour tendre vers cet idéal, en partant du principe qu’il n’est jamais réellement fini.  

“Tandis que chaque individu a les mêmes droits en démocratie, le système capitaliste alloue les droits et les pouvoirs de décision en fonction des capitaux apportés dans l’entreprise.” 

Dans le champ économique, il n’en est rien. Le capitalisme prend le pas sur la démocratie. Tandis que chaque individu a les mêmes droits en démocratie, le système capitaliste alloue les droits et les pouvoirs de décision en fonction des capitaux et de l’argent apportés dans l’entreprise. Plus une personne investit du capital, plus elle peut exercer des droits politiques et prendre part aux décisions prises au sein de l’entreprise. 

De fait, si vous n’avez pas injecté d’apports en capital, vous n’avez pas de droits politiques, vous n’êtes pas un citoyen de l’entreprise. Vous faites fonctionner l’entité politique qu’est l’entreprise sans avoir le pouvoir de peser sur les décisions, ce qui est le cas des travailleurs.

“La perspective de démocratisation renverse la hiérarchie entre capital et travail : alors que le capital est survalorisé dans le capitalisme, la démocratisation suppose que chaque individu détient les mêmes droits au sein de l’entreprise.”

  • Pour vous, le principal frein à la démocratisation réelle du travail est donc le système capitaliste ?

Oui,  le principal obstacle à la démocratisation est l’idée que seuls ceux qui apportent du capital au sein de l’entreprise sont légitimes de se positionner sur tous les enjeux qui la concernent. 

La perspective de démocratisation renverse la hiérarchie entre capital et travail : alors que le capital est survalorisé dans le capitalisme, la démocratisation suppose que chaque individu détient les mêmes droits au sein de l’entreprise. Dans ce cas, chaque personne aurait une légitimité à prendre part aux décisions de l’entreprise grâce à son investissement dans son travail, qui serait considéré comme aussi important et précieux que l’apport en capital. 

Si on va un peu plus loin, l’apport en capital provient toujours de quelque chose qui est extérieur aux individus : un avoir, une fortune, etc. Il ne s’agit pas d’un investissement personnel, de sa personne, de son temps, de son esprit… Alors que les travailleurs investissent leur santé mentale et physique dans leur travail. On l’a vu lors de la pandémie : certaines personnes risquent leur vie en travaillant. 

Le seul risque qu’un apporteur de capital prend est de perdre ce qu’il a investi. Ce qui est, toute proportion gardée, moins grave que les burn-out profonds ou bien les suicides liés au travail. Ce sont des faits de civilisation qui témoignent du cœur même de ce qui se joue dans le gouvernement du travail capitaliste. Ce constat rend d’autant plus injuste le fait que les travailleurs, contrairement aux apporteurs en capitaux, ne soient pas associés aux décisions.

“La justice distributive ne suffit pas, il est également nécessaire de tendre vers une justice politique pour que les travailleurs puissent prendre part aux décisions prises par leur entreprise, d’autant plus qu’ils sont les seuls à qui elles s’appliquent.”

Suite à la pandémie, de nombreuses paroles ont exprimé qu’il fallait plus de justice distributive en augmentant les bas salaires des “travailleurs essentiels ». C’est une évidence, mais il n’y a pas encore de décisions politiques en ce sens, alors même que les plus riches ont profité de cette pandémie. 

Par ailleurs, la justice distributive ne suffit pas, il est également nécessaire de tendre vers une justice politique pour que les travailleurs puissent prendre part aux décisions prises par leur entreprise, d’autant plus qu’ils sont les seuls à qui elles s’appliquent. Or le principe démocratique veut que lorsqu’une règle pèse sur un individu, il doit pouvoir y prendre part. 

  • Une fois ce constat posé, on peut s’interroger sur la manière dont s’est diffusé l’enjeu de la démocratisation du travail et la nécessité d’étendre l’idéal démocratique au monde des entreprises.

La nécessité de démocratiser le travail a pris racine dans un double phénomène : les évolutions du droit du travail et le passage d’une économie industrielle à une société de services. 

En matière de droit du travail, la 2ᵉ Guerre Mondiale a été déterminante puisque la création des comités d’entreprises faisait partie des propositions du Conseil National de la Résistance. À cette époque, l’objectif est d’étendre la citoyenneté dans le monde du travail, en reconnaissant l’investissement des travailleurs au-delà du salaire qui leur est attribué. Les travailleurs sont considérés comme des participants à la vie de l’entreprise, ce qui mène en 1982 aux lois Auroux dont le préambule est : “citoyen dans la cité, citoyen dans l’entreprise”. 

Le second phénomène dans lequel la nécessité de démocratiser le travail prend racine est le passage d’une économie industrielle à une société de services. Jusqu’aux années 1970, les ingénieurs sont co-décisionnaires dans l’entreprise : ils pensent le processus d’organisation du travail tandis que les ouvriers exécutent. 

“Le moment d’exécution lui-même nécessite une véritable appropriation des finalités du travail, ce qui implique de peser sur celles-ci.”

Dans les années 1970, on bascule vers un régime de services dans le monde occidental, où plus de 80% de l’activité est issue du secteur tertiaire. La division du travail qui existait jusqu’alors ne tient plus. Il y a une prise de conscience du fait que les salariés doivent participer à la conception du travail et pas uniquement à son exécution. Il n’est plus possible de considérer qu’il suffit de s’en tenir à exécuter des principes édictés a priori. Le moment d’exécution lui-même nécessite une véritable appropriation des finalités du travail, ce qui implique de peser sur celles-ci. 

Pour prendre un exemple, imaginez que vous travaillez dans une entreprise qui vend des plateformes participatives en ligne. Quand vous vendez une plateforme à une entreprise X, ce n’est pas la même chose que quand vous la vendez à l’entreprise Y. Vous allez souvent adapter le produit, écrire quelques lignes de code pour vous adapter aux besoins du client. Dans ce cas, vous pesez sur les finalités du travail, vous ne pouvez pas vous appuyer sur un plan d’exécution qui a été mis au point et ne doit plus bouger. 

Cet exemple montre que dans une société de services, il est nécessaire de se mettre à la place du client, d’adopter son point de vue pour adapter le service à ses besoins. Cela implique une certaine marge de manœuvre. Il ne s’agit plus d’un régime taylorien qui repose sur une séparation étanche entre conception et exécution du travail, entre l’ingénieur qui conçoit le plan de la ligne de production et l’ouvrier à la chaîne qui se contente d’appliquer. 

Ces deux phénomènes : l’évolution du droit du travail et le passage à une société de services, ont contribué à mettre en évidence la nécessité d’associer les travailleurs aux décisions prises par leur entreprise. 

  • Ce qui semble malgré tout s’être imposé en France est plutôt un modèle “soft” où la participation des salariés à la vie de leur entreprise s’exerce aujourd’hui en France principalement par le biais d’institutions de représentants (délégués du personnel, comité d’entreprise, syndicats)…

C’est là qu’entre en jeu la distinction entre gérer et gouverner. Dans une organisation, il y a deux types de décisions prises : les décisions de gestion et les décisions de gouvernement

Les décisions de gestion, on les connaît bien : comment va-t-on parvenir à un tel objectif ? On déploie ensuite les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif, dont la définition n’a pas été discutée collectivement. 

Les décisions de gouvernement, quant à elles, portent sur les finalités poursuivies par l’entreprise : quels types de services veut-on offrir, quels types de profits veut-on faire,  vers qui va-t-on distribuer ce profit ? Dans les entreprises capitalistes, ces questions sont généralement réservées à ceux qui apportent du capital dans l’entreprise. Les travailleurs ne sont pas amenés à se positionner sur les questions de gouvernement. 

Ils sont principalement associés aux décisions de gestion via le Conseil social et économique (CSE). Cette instance constitue l’embryon d’une chambre de représentation de tous les travailleurs. Il s’agit d’un organe purement consultatif avec des pouvoirs sur un petit nombre de prérogatives : des questions relatives à l’organisation du travail, à la santé/sécurité au travail, et bien sûr un droit à l’information. Mais il ne s’agit pas d’une seconde chambre, en plus du Conseil d’administration, qui serait véritablement amenée à se positionner sur des décisions de gouvernement. 

Le Conseil d’administration, lui, est composé de représentants des apporteurs en capitaux qui ont le droit de peser sur le gouvernement de l’entreprise. C’est cet organe qui détermine les finalités de l’entreprise, dont émane un comité exécutif chargé de mettre en œuvre la politique qu’il a établie.  

“On observe des tentatives de recyclage de la démocratisation des entreprises, de manière à ce qu’elle soit moins dérangeante pour le capitalisme.”

  • Depuis quelques années, le monde du travail voit toutefois émerger de nouveaux concepts et principes tels que l’holacratie, l’entreprise libérée, le management collaboratif… (1) Est-ce le signe d’avancées en matière de partage du pouvoir au sein des entreprises ? 

Il y a en effet une tendance managériale qui vise à associer de plus en plus les travailleurs aux décisions de gestion. Mais il s’agit d’une forme de récupération et de stratégie pour ne pas associer les travailleurs aux “vrais sujets”. On peut voir cela comme des tentatives de recyclage de la démocratisation des entreprises, de manière à ce qu’elle soit moins dérangeante pour le capitalisme.

Ces pratiques restent intéressantes car elles permettent d’observer comment peut être mise en œuvre une véritable discussion participative sur des sujets liés à l’entreprise. Mais l’enjeu est de ne pas se laisser enfermer dans les décisions de gestion et de mettre entre les mains des travailleurs les décisions de gouvernement. 

Car la démocratisation ne peut pas s’arrêter à des questions de gestion. On ne peut pas dire “on adopte le fonctionnement d’une entreprise libérée, mais toutes les questions sur lesquelles le Conseil d’administration se positionne, la rémunération des actionnaires, les finalités de l’entreprise, ce n’est pas entre les mains des travailleurs”. 

“C’est toute la question aujourd’hui : comment va-t-on prendre en compte la nécessité d’associer et d’impliquer les travailleurs qui s’impose de plus en plus ? Est-ce qu’on va tendre vers des organisations démocratiques du travail en acceptant un principe de l’égalité entre tous et toutes ?”

  • Comment aller réellement plus loin dans ce cas ? Quelle forme peut prendre concrètement l’association des travailleurs aux décisions de l’entreprise ?

C’est toute la question aujourd’hui : comment va-t-on prendre en compte la nécessité d’associer et d’impliquer les travailleurs qui s’impose de plus en plus ? Est-ce qu’on va tendre vers des organisations démocratiques du travail en acceptant le principe de l’égalité entre tous et toutes ? Est-ce qu’on va permettre aux travailleurs de peser sur leurs conditions de vie au travail, sur les finalités poursuivies par leur entreprise, en considérant que ces décisions doivent être validées et légitimées par leur soin ? Ou bien est-ce qu’on va se contenter d’une forme très “soft” de participation des travailleurs ?

Nous pouvons nous appuyer sur l’Histoire pour penser la manière dont les travailleurs pourraient réellement peser sur les décisions de leur entreprise. Les humains ne créent jamais à partir de rien, nous sommes toujours les héritiers d’un patrimoine et d’une Histoire. 

On peut ainsi observer que les entités politiques se sont démocratisées par ce qu’on peut appeler “le moment bicaméral” (2) : c’est le moment où la minorité qui gouverne reconnaît que la majorité dont elle dépend pour son bon fonctionnement a aussi le droit légitime de peser sur les lois et les règles de gouvernement. Un principe de double majorité est alors reconnu et requis pour gouverner convenablement. 

“Si on calque cette logique au monde du travail contemporain, pour toute décision prise au sein d’une entreprise, la majorité devrait être obtenue au sein du Conseil d’administration et au sein du CSE où siègent des représentants des travailleurs.”

Au Vᵉ siècle avant JC, la Plèbe n’avait aucun droit jusqu’à ce qu’on lui reconnaisse celui de contester toutes les décisions que les Patriciens prenaient seuls auparavant. C’est un droit de véto collectif qui est le principe même du bicamérisme. 

Si on calque cette logique au monde du travail contemporain, pour toute décision prise au sein d’une entreprise, la majorité devrait être obtenue au sein du Conseil d’administration et au sein du CSE où siègent des représentants des travailleurs. Or aujourd’hui, le CSE ne se positionne pas à la majorité pour valider les décisions du Conseil d’administration. 

Il est donc nécessaire de s’interroger sur la place des travailleurs au sein du Conseil d’administration, qui est le cœur du pouvoir de l’entreprise. À ce sujet, la loi PACTE promulguée en 2019 a reconnu une légitimité des travailleurs à être représentés au sein des Conseils d’administration. Mais il s’agit d’un ou deux représentants… Il reste 80% des voix entre les mains des apporteurs en capitaux.  Par conséquent, il n’y a pas panique à bord. 

Cela révèle la contrainte de démocratisation qui pèse sur les entreprises, mais aussi les manœuvres qu’elles mettent en place pour contourner le partage réel du pouvoir de décision avec les travailleurs. 

  • Existe-t-il des exemples de fonctionnement démocratique des entreprises dans d’autres pays ? 

C’est le cas dans le modèle allemand de co-détermination, et dans une moindre mesure dans les modèles scandinaves. 

En Allemagne, un tournant a eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale car les industriels ont joué un rôle crucial dans l’accession de Hitler au pouvoir. Quand les Alliés ont réorganisé l’Allemagne de l’Ouest, ils ont souhaité réduire leur influence en leur imposant une restructuration avec une contrainte de démocratisation. La moitié des postes dans les Conseils d’administration ont ainsi été confiés aux travailleurs et représentants des syndicats. 50% des sièges des conseils d’administration des grandes entreprises allemandes du secteur de l’acier ont été occupés, du jour au lendemain, par des représentants des travailleurs. On peut parler de co-détermination de parité parfaite. Dans les faits, les juristes allemands considèrent qu’il s’agit d’une “fausse parité” car le président du Conseil d’administration a une voix délibérative en plus. 

Mais ce fonctionnement a permis le développement d’une culture de collaboration entre capital et travail, autour des objectifs de l’entreprise, qui est à des années lumières de ce qu’on peut connaître en France.

  • Si la nécessité d’associer les travailleurs aux décisions prises au sein de leur entreprise n’est plus à prouver, ont-ils une volonté marquée de participer ? Si oui, comment s’exprime-t-elle ?

Dans tous les cas, la démocratisation des entreprises apparaît aujourd’hui comme une nécessité, pour toutes les raisons évoquées précédemment, ne serait-ce qu’en termes de justice. Même si des travailleurs ne souhaitaient pas être davantage associés aux décisions, on peut considérer que la situation actuelle n’est pas acceptable car elle n’est pas en phase avec notre projet de société qui repose sur la démocratie. 

Dans les faits, les travailleurs se positionnent déjà sur quantité de choses et de décisions dans le cadre du travail. Mais on ne leur donne pas la liberté de pouvoir véritablement assumer la manière dont ils souhaiteraient se positionner. J’ai par exemple étudié les conditions de travail des caissières de supermarché : j’ai pu observer qu’elles avaient un avis sur quantité de décisions prises dans le cadre du magasin. Leur avis n’est pourtant pas pris en compte, jusqu’au moment où surviennent des problèmes de démotivation, d’absentéisme et de mauvaise organisation du magasin. 

C’est ce que j’appelle l’intuition critique de la justice démocratique au travail : les travailleurs ont l’intuition qu’ils ont un avis éclairé sur un tas de décisions liées au travail, et ne comprennent pas pourquoi il n’est pas pris en compte. Il y a donc une volonté chez les travailleurs d’être associés aux décisions de leur entreprise, qui peut aller jusqu’à un sentiment d’injustice lorsqu’ils comprennent que ce n’est pas le cas. 

Il y a beaucoup d’organisations qui ne tiennent pas compte de ce constat, et qui peuvent ensuite s’étonner que les travailleurs soient démotivés, en proie à de l’aliénation complète ou des burn out. Les travailleurs vont sans cesse se questionner sur le sens et les finalités de leur travail, valoriser ce que fait l’entreprise, s’investir, puis se rendre compte que leur investissement n’est pas pris en compte. L’expérience de cette violence est d’un point de vue psychique et émotionnel extrêmement difficile. 

  • De la même manière que certains chercheurs en sciences sociales alertent sur les liens étroits entre participation citoyenne et transition écologique, vous estimez que le partage du pouvoir au sein des entreprises est une condition indispensable à cette transition. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous sommes aujourd’hui dans un rapport extractif au vivant : toutes les ressources, tant naturelles qu’humaines, sont utilisées comme des choses jetables. Ainsi, les entreprises utilisent les humains comme des ressources puis les jettent lorsqu’ils ne sont plus productifs, épuisés, en burn-out, etc. Ces ressources, que sont les travailleurs, sont au service du capital. Partant du principe que les humains sont des ressources à disposition des entreprises, il est évident qu’on se permet de considérer les ressources naturelles, la nature de manière générale, de la même manière. 

Une opportunité se présente aujourd’hui car nous avançons à toute vitesse vers un mur : nous n’avons qu’une planète. Auparavant, le rapport extractif aux humains et au vivant avait un impact de petite ou moyenne portée : un mineur décédait dans le cadre de son travail, on organisait une journée de deuil, puis on le remplaçait en considérant que les humains étaient des ressources remplaçables. 

« La transition écologique ne sera pas possible si on ne démocratise pas les entreprises, si on ne sort pas du rapport extractif aux humains, si on ne change pas de modèle économique.”

Nous avons cru pouvoir adapter le même fonctionnement avec la nature dont l’échelle de destruction a évolué au fur et à mesure. On a pollué un hectare, 10 hectares… Puis des espaces naturels entiers, des océans, jusqu’à réaliser qu’il n’y avait qu’une planète et que ses ressources sont limitées. Il y a aujourd’hui beaucoup de personnes capables de s’en rendre compte, y compris parmi les apporteurs en capitaux. 

Je pense donc qu’il y a un lien profond entre la démocratisation du travail et la transition écologique. Elle ne sera pas possible si on ne démocratise pas les entreprises, si on ne sort pas du rapport extractif aux humains, si on ne change pas de modèle économique. Ce n’est pas une condition suffisante, il y a d’autres problèmes à régler en même temps, mais c’est une condition nécessaire à la transition écologique. 

(1) : L’holacratie qui provient des mots grecs « holos » désignant « une entité qui est à la fois un tout et une partie d’un tout » et de « kratos » signifiant « pouvoir ». Il s’agit donc de donner le pouvoir de gouvernance à l’organisation elle-même plutôt qu’aux égos de ses membres.

L’entreprise libérée est décrite comme une philosophie qui vise à transformer l’organisation d’une entreprise en profondeur. L’idée est de libérer les salariés, leur initiative, leur potentiel afin de booster les performances de l’entreprise.

Le management collaboratif est une pratique de gestion qui vise à supprimer les cloisonnements entre les responsables, les cadres et le personnel pour leur permettre de travailler ensemble.

(2) : Le bicamérisme est un système qui repose sur deux chambres/assemblées, chacune étant dotées d’un pouvoir de décision.

Pour aller plus loin :

> Le Manifeste travail – démocratiser, démarchandiser, dépolluer, de Julie Battilana, Isabelle Ferreras, Dominique Méda, Seuil, 2020 : 

https://www.seuil.com/ouvrage/le-manifeste-travail-isabelle-ferreras/9782021470499 

> Tous les travaux d’Isabelle Ferreras : https://isabelleferreras.net/home/home-fr/

> Réseau Democratizing Work  : http://www.democratizingwork.org 

Les citoyens veulent-ils vraiment participer ?

 

Depuis quelques dizaines d’années, les initiatives de démocratie participative se sont multipliées en France (budgets participatifs, conseils de quartiers, conseils citoyens, concertations thématiques…). Régulièrement, se pose la question de savoir si les citoyens s’emparent de ces espaces participatifs et si oui, pourquoi ? Nous avons échangé avec Guillaume Petit, docteur en science politique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, associé au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP), pour analyser les offres de participation institutionnelles et la manière dont les citoyens se les approprient.

 

Depuis les années 1990, de plus en plus d’outils et de dispositifs de démocratie participative sont mobilisés à l’échelle locale, si bien que l’on évoque parfois l’apparition d’un impératif délibératif. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cet impératif délibératif et comment il est apparu ?

 

L’impératif délibératif apparaît à la fois en tant que constat et question de recherche. C’est un article de Loïc Blondiaux et Yves Sintomer qui propose cette notion d’impératif délibératif. C’est l’idée que désormais la décision publique devrait asseoir ou assoit sa légitimité sur ce qui est appelé l’épreuve de la discussion, et la valorisation constante de ce principe. Qui lie la légitimité de la décision à sa mise en discussion collective, à minima auprès des personnes concernées par cette décision. 

Il y a des institutions, des acteurs, qui se saisissent de cet impératif ou qui sont saisis par lui. Il y a des acteurs qui se saisissent de cet impératif pour le défendre et d’autres sont davantage saisis par cet impératif dans le sens où ils doivent composer avec. 

Concrètement, c’est l’idée qu’il deviendrait de plus en plus difficile pour un Maire d’imposer une décision de manière unilatérale si les habitants sont contre.

 

La démocratie participative est-elle devenue une norme de l’action publique communément acceptée ou bien demeure-t-il des réfractaires ?

 

Il y a des normes, des façons d’habiter le rôle d’élu qui sont de moins en moins acceptables ou considérées de plus en plus passéistes. Oui, il y a toujours des réfractaires. Je pense qu’il y a des élus, même au sein d’un même conseil municipal, qui sont pro participation et d’autres qui vont considérer ça comme une contrainte ou une perte de temps. 

Avec Rémi Lefebvre et Julien Talpin, nous avons proposé une typologie des adjoints chargés de la démocratie participative. On a différencié les indifférents, les croyants managériaux, les croyants militants et les opposants. On a constaté que contrairement à une intuition partagée dans le milieu, il n’y avait pas forcément une forte vocation de ces élus. Il y a des adjoints qui sont dans une sorte de misère positionnelle, qui font face à l’absence de moyens et de poids politique et qui ne vivent pas nécessairement cette position de manière positive. Ce qui crée un rapport ambigu avec la participation.

 

« La fonction “traditionnelle” d’élu aujourd’hui ne prédispose pas à “aimer” la démocratie participative. »

 

Les élus, notamment celles et ceux qui croient dans la capacité de démocratiser la démocratie, vont avoir tendance à ne pas faire carrière, peut-être aussi car ils et elles sont les plus disposés à ne pas vouloir faire carrière. A l’inverse, la fonction “traditionnelle” d’élu aujourd’hui ne prédispose pas à “aimer” la démocratie participative

A la différence de certains Maires qui vont avoir un intérêt à mettre en avant une forme de leadership paradoxal, qui vont appuyer leur leadership sur le fait de refuser la décision, de partager le pouvoir. C’est à travers ça paradoxalement qu’ils vont construire un fort pouvoir mayoral, un ancrage local. La question des élus permet de voir que la démocratie participative est bien une politique de l’offre. Guillaume Gourgues posait cela comme une “hypothèse heuristique”. Elle a besoin des élus pour exister. Elle a besoin d’agents et de prestataires qui la font vivre. En ce sens, il n’y a pas vraiment de demande de participation, il y a des luttes de définition autour de l’intérêt à faire exister quelque chose qu’on appellerait une demande de participation, que “l’offre” viendrait satisfaire.

 

Existe-t-il des contextes locaux favorables à l’émergence d’une offre participative institutionnelle ?

 

C’est lié soit à des contextes locaux, soit à des contextes qui favorisent le point de vue des participants. Il peut y avoir une forte vie associative, des centres sociaux actifs qui créent un public pour ces types d’offres de participation. 

Les institutions ont potentiellement des relais dans la population via des fédérations associatives, des fédérations militantes, etc. Il y des terreaux plus ou moins favorables à la mise en place de démarches participatives. 

Surtout, ce qui compte au niveau municipal, c’est d’avoir une offre de participation personnalisée. Paradoxalement, c’est très lié à la figure de Maire. C’est un Maire qui porte la démarche, qui est reconnu comme un Maire animateur. Souvent on voit un Maire qui va phagocyter ça ou s’appuyer sur un binôme avec un adjoint très proche d’elle ou de lui, ou bien sur la structuration de l’administration avec des fonctionnaires participationnistes qui organisent la participation et qui ont un rôle un peu politique. Ils sont à mi-chemin entre l’élu et l’agent. On n’est pas dans la caricature du fonctionnaire qui applique sans rien dire, ce sont, et de plus en plus, des agents plutôt formés et actifs sur ces questions.

 

Vos travaux portent notamment sur l’engagement participatif. Pouvez-vous nous dire comment les citoyens s’approprient une offre de participation institutionnelle ?

 

Un des principaux axes qui va partager les participants des non-participants en tendance, c’est l’ancienneté de résidence. Le fait d’être résident depuis longtemps, potentiellement propriétaire, crée un intérêt pour la participation. La participation est fortement liée aux parcours résidentiels. Il y a aussi un facteur de disponibilité qui fait qu’on trouve plus de retraités. 

On ne peut pas non plus opposer aussi facilement participation et non-participation. S’il n’y avait pas d’offre de participation il n’y aurait pas de non-participation. Si l’on veut, du jour au lendemain, quand on crée une offre de participation, on crée de la non-participation

On acte donc le fait qu’il y a un éloignement à la chose politique. Et donc potentiellement on va reproduire ce qu’en science politique, à la suite de Daniel Gaxie, on appelle le cens caché : l’idée que certains individus (les moins diplômés, les moins politisés…) ont tendance à ne pas participer, à s’auto-exclure du jeu politique. 

« Ceux qui ne participent pas sont ceux que les dominants élimineraient du jeu politique s’ils en avaient l’opportunité »

 

En paraphrasant Pierre Bourdieu, il se trouve que ceux qui ne participent pas sont ceux que les dominants élimineraient du jeu politique s’ils en avaient l’opportunité ; autrement dit, si le système était toujours “censitaire” (c’est-à-dire réservé à ceux en capacité de payer le “cens”, un impôt). Avec la démocratie participative, on retrouve ce cens caché, avec néanmoins parfois des efforts “compensatoires” spécifiques pour viser une catégorie de la population en particulier, qui ont des effets mais qui demeurent limités. 

Il y a aussi une non-participation qui fait sens : “Je ne participe pas car c’est une mascarade de participation”; “Je ne vais pas participer à une démarche où il n’y a pas d’enjeu”.

Il y a également des personnes qui participent pour d’autres raisons. Il y a des gens qui participent à travers une forme de sociabilité, une participation de club. On est donc loin de la mise en débat des politiques publiques. On est plus sur une participation routinière. 

Il y a des participants ordinaires et extraordinaires. Les participants ordinaires sont ceux qui ont des prédispositions à participer, pour qui c’est quelque chose de “naturel”. Typiquement quelqu’un qui est parent d’élève, qui est dans les réseaux locaux. 

Sociologiquement, ce sont des personnes qui sont davantage propriétaires, qui habitent la ville depuis longtemps, qui ont un niveau de diplôme plus élevé que la moyenne, sont davantage retraités qu’actifs. Les niveaux de salaire sont souvent plus élevés que le revenu médian.

« Ceux qui participent sont ceux qui participent déjà aux élections »

 

L’idée qu’on agirait contre « la démocratie de l’abstention » avec la démocratie participative est en partie un fantasme : ceux qui participent sont ceux qui participent déjà aux élections. Donc à travers la participation on ne ferait qu’étendre les possibilités de participation de celles et ceux qui participent déjà. L’idée que grâce à la démocratie participative on ferait s’intéresser à la politique locale les gens qui ne participent pas aux élections, c’est faux. Tous les gens qui participent sont des gens qui participent aux élections. Ou alors c’est très marginal. Les taux moyens de participation électorale de celles et ceux qui participent à la démocratie participative sont supérieurs à la moyenne.

 

Donc ceux qui ne participent pas sont en partie créés par la manière dont est construite l’offre de participation institutionnelle ? C’est-à-dire qu’avec une autre offre de participation, les non-participants pourraient participer ?

 

C’est vrai qu’il y a comme un effet miroir. Ceux qui participent à une démarche participative sont potentiellement ceux qui ne participeraient pas à une autre. Dans le cas d’une ville comme Lanester, où j’ai travaillé, et vous aussi, il y a eu des évolutions lors de l’arrivée du budget participatif en 2016. Avant, pendant 12 ans, il y avait des conseils de quartiers où il y avait davantage d’habitants qui étaient là depuis longtemps, investis dans la vie associative, et retraités le plus souvent. 

Celles et ceux qui ne participaient pas durablement étaient typiquement des jeunes couples trentenaires qui venaient d’acheter et qui voulaient s’intégrer. En allant à leur conseil de quartier, ils ne se reconnaissaient pas dans les autres participants. Dans ce contexte, des nouveaux arrivants se disent que cet espace n’est pas fait pour eux. Par contre, ce profil de trentenaire diplômé du supérieur, primo accédant, c’est typiquement quelqu’un qui va participer au budget participatif. 

« Le budget participatif a attiré d’autres types de participants »

 

J’ai fait une enquête par sondage chaque année après le lancement du budget participatif de Lanester, et on trouvait ce type de public. On trouvait aussi une forme de continuité. D’un côté, les fidèles et le noyau dur qui continuaient de participer par soutien au Maire et à l’équipe municipale. Et d’un autre côté, d’autres qui participaient parce qu’ils trouvaient ça nouveau, qui appréciaient de voir arriver un dispositif qui existait à Paris et à Rennes et qui étaient content.es d’avoir un budget participatif dans leur commune. Le budget participatif a attiré d’autres types de participants, mais pour une participation de moindre intensité, moins chronophage.

 

Comment agir pour réduire les inégalités de participation et plus globalement les inégalités politiques ?

 

Plus largement, on a construit cette idée d’inégalité face à la participation, pour désigner des personnes qui tendanciellement vont moins se reconnaître dans la participation, moins se sentir légitimes à y aller et effectivement on peut constater que si on ne fait qu’ouvrir aux volontaires, alors c’est toujours les mêmes qui participent et qui ne participent pas. Il y a une forme de régularité.

Face à ça, on peut utiliser des moyens (tirage au sort, rémunération des participants par exemple) pour mobiliser, et des “artifices d’égalité” pour mieux intégrer chacune et chacun dans la discussion. On se rend compte que cela marche mais que c’est fragile. Cela va rarement au-delà du dispositif. 

Quelque chose qui réduirait les inégalités, c’est d’augmenter l’intéressement à la participation. Il y aurait plus de gens qui participeraient si le fait de participer devenait substantiellement important et intéressant. Si on savait qu’il y a des choses qui se discutent vraiment et que face à la décision les citoyens ont un rôle majeur. Il faudrait augmenter le coût de ne pas en être. 

« Augmenter le rapport à la décision, c’est une façon de réduire les inégalités »

 

Augmenter la portée instrumentale, le rapport à la décision, c’est une façon de réduire de facto les inégalités. Ou en tout cas de rendre ces inégalités d’autant plus insupportables et donc de forcer à les réduire. Il y a des inégalités face à la participation mais dans le fond est-ce que c’est grave ? Est-ce que ça porte préjudice ? Qu’est-ce que c’est qu’une inégalité ? C’est une inégalité sociale, de revenus, d’accès à une position sociale, d’accès aux diplômes, etc. Mais ça n’a rien à voir avec les inégalités de participation. A l’intérieur de ces dispositifs, on retrouve des inégalités de classe et de genre. Mais finalement, quand on observe un dispositif participatif, on arrive en bout de course de toutes ces inégalités structurelles.

Le grand absent des offres de participation, c’est le monde du travail et l’espace de l’entreprise où le citoyen et le travailleur sont totalement infantilisés Dans les offres de participation municipale, on va souvent trouver beaucoup de retraités. On va se dire : “c’est normal, ils ont le temps”. Mais au-delà du temps libre, ils ont un temps libéré. Libéré de la contrainte salariale. Et ils ont la possibilité de faire les activités qui les intéressent. 

« Les inégalités face à la participation sont davantage symptômes et conséquences que cause »

 

Il y a d’autres types d’inégalités à résoudre et finalement les inégalités face à la participation sont davantage symptômes et conséquences que cause. On prend parfois le problème à l’envers. On peut y aller au forceps en tirant au sort des personnes sur un sujet sexy sur lequel on va leur promettre qu’ils auront le poids de la décision, on va les rémunérer et appeler leur patron pour qu’il les libèrent. Là oui en effet ça peut fonctionner. Mais on pourrait aussi agir en amont sur les inégalités politiques et sociales.

 

Quels sont les effets de la participation chez les participants ?

Il y a plusieurs types d’effets. Chez celles et ceux que j’appelle les participants ordinaires, celles et ceux qui ne font que refaire ce qu’ils faisaient auparavant dans leur association, syndicat, etc. On est sur de la reconduction. Ceux qui vivent leur participation sur un registre extraordinaire et qui se découvrent à travers ça, oui il y a des effets. Des collègues comme Julien Talpin, ou plus récemment Yannick Gauthier, ont travaillé sur ce sujet, j’ai aussi observé les mêmes effets dans ma thèse : effets d’apprentissage, de montée en compétences, de satisfaction, d’affirmation de soi. 

« Certains parviennent à recycler l’apprentissage de prise de parole, la capacité à argumenter »

 

Ce qui est intéressant c’est les gens qui vont être en capacité de recycler ces choses là par ailleurs. On voit que certains parviennent à recycler l’apprentissage de prise de parole, la capacité à argumenter. Des gens vont s’en servir dans leur travail, leur syndicat, au sein de leur famille aussi. Oui, il y a des effets. Des effets sur les trajectoires dans le sens où l’effet le plus simple à observer est de voir comment certains deviennent des élus après avoir participé. Je suis participant et après je m’inscris sur une liste. Pour ces personnes, il y a un effet tremplin, et pour la mairie, il y a donc aussi un effet réservoir.

Il y a aussi des effets de frustration. Des personnes s’engagent et potentiellement fortement. Ça peut être très chronophage en termes de temps investi.

Du point de vue des institutions, il y a eu une tendance à promouvoir une participation par projet plutôt que par instance car en projet on peut toujours créer un nouveau public lié à un nouveau projet. Le risque d’essoufflement est moins présent, de même que celui de voir des contre-pouvoirs émerger. 

« Il vaut mieux opter pour des dispositifs pérennes »

 

Moi je pense que si on veut créer un espace des possibles pour s’intéresser à la vie locale, une forme de citoyenneté, d’intéressement, on peut se dire que c’est mieux d’avoir des espèces pérennes de participation où les personnes savent qu’il y a la possibilité de s’exprimer. Alors que si on veut produire de l’aide à la décision publique sur un projet en particulier, là on peut préférer faire un mini-public citoyen tiré au sort sur une question précise. Mais moins on laisse de temps, plus on va retrouver des gens déjà dotés. 

 

Pour qu’il existe des effets, et qu’ils soient accessibles à des personnes ayant moins de ressources, il vaut mieux opter pour des dispositifs plus pérennes, qui prennent le temps, peut-être sur des petites choses, mais avec un pouvoir de décision.

 

Pour en savoir plus sur les travaux de Guillaume Petit :

 

Pour en savoir plus sur le dispositif du Budget Participatif : https://www.id-city.fr/le-guide-pratique-du-budget-participatif/

 

 

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Le point sur : Budget Participatif et outils numériques

 

De 7 Budgets Participatifs en 2014, la France en comptait 170 en 2020 ( ➡️ source).

Peut-on en déduire que les démarches participatives ont le vent en poupe ces dernières années ? Certainement. De là à imaginer jusqu’à une systématisation de ces démarches dans les années à venir ? Pourquoi pas. Encore faut-il savoir les utiliser !

Les dispositifs participatifs ne sont ni plus ni moins que des outils en constante évolution. Afin de recueillir un certain nombre de bonnes pratiques, nous avons interrogé quelques-uns de nos partenaires sur leurs expériences passées. Depuis les démarches menées jusqu’aux apports et limites du numérique dans le bon déroulement du dispositif, voici leurs points de vues et recommandations.

Définir le point de départ

Avant toute chose, nous avons cherché à savoir quels étaient les objectifs initiaux de leurs démarches. En effet, s’engager dans de la démocratie participative demande du temps, des moyens, de l’organisation. Cela suppose aussi qu’une collectivité se déleste d’une partie de son pouvoir de décision au profit des citoyens. À cette question, nos interlocuteurs ont été unanimes sur un point. Il s’agissait surtout de rapprocher voire de reconnecter les citoyens à l’Institution, en les rendant acteurs de la politique publique. 

Pour Laurence Allefresde (Ardèche), cela peut aller jusqu’à devenir “un levier de mobilisation des jeunes”, les aidant par la même occasion à “être des citoyens éclairés et conscients du fonctionnement des collectivités et du quotidien des élus”. Cette ambition a notamment motivé la création d’un Budget Participatif Jeunesse à l’échelle du département, en adéquation avec le projet AJIR – Ardèche, Jeunesse, Innovation, Ruralité.

Motiver les troupes

La question de l’implication et de la mobilisation des citoyens aux démarches participatives cristallise beaucoup d’inquiétudes chez les collectivités organisatrices. En d’autres termes, comment faire en sorte que les citoyens prennent part aux dispositifs mis en place ? 

Ici encore, certaines réponses reviennent à plusieurs reprises avec deux pôles bien distincts et complémentaires. D’abord l’appel à des outils de communication dits “classiques”. Affiches et flyers, spots radio, encarts publicitaires dans de la presse locale, rencontres sur les points de rassemblement comme le marché ou les événements sportifs, etc. Certains acteurs créatifs sont allés jusqu’à réaliser des capsules vidéos, aussi bien pratiques qu’incitatives, comme dans le département des Landes. A cela s’ajoutent des réunions publiques, avec une trentaine tenues dans le Lot et Garonne. Ces réunions permettent aux citoyens de rester au plus près de l’information et d’avoir des réponses à leurs interrogations.

Les solutions numériques n’ont pas été laissées de côté. Les collectivités ont fait la promotion de leurs démarches via des publications sur les réseaux sociaux et des actualités sur leurs plateformes.

Finalement, un maître mot : la communication ! Si vous souhaitez des conseils pour bien communiquer pendant vos démarches, nous vous invitons à consulter nos Guide Pratique du Budget Participatif (en consultation et en téléchargement sur notre site).

La démocratie 2.0

En parlant du numérique, nous nous sommes également penchés sur l’apport du numérique dans le domaine de la démocratie participative. Deux grandes tendances se sont dessinées dans les témoignages. 

D’abord, il est indéniable que le numérique permet d’aller toucher un plus grand nombre d’acteurs, notamment chez des publics jeunes, en offrant “un accès direct à l’information” (Dany Dutey – Lot et Garonne), une centralisation des démarches (département du Gers), ainsi qu’une facilité de traitement des données (Jean-Christophe Labails – Dordogne). Cela a d’autant plus été accentué par un contexte sanitaire rendant difficile voire impossible des rencontres en présentiel. 

Malgré tout, tous s’entendent sur les contraintes de démarches en “tout numérique”, dues à une fracture générationnelle qui pourrait exclure une frange de la population. Cela va des personnes âgées ne maîtrisant pas l’outil informatique aux “habitants des zones ne bénéficiant pas d’une bonne couverture réseau” (Laurence Allefresde – Ardèche). 

Finalement, il semblerait bien que la “meilleure” façon de fonctionner soit hybride. Le numérique vient en support de la démarche, il lui donne l’élan et la couverture nécessaire à son bon déroulement. Mais comme bien souvent, il ne vient pas remplacer et encore moins n’exclut des rencontres in-situ.

Et concrètement ?

Une fois les bases organisationnelles posées, nous avons interrogé nos partenaires sur ce qu’ils avaient accompli grâce à leurs dispositifs participatifs. Un peu de concret !

D’abord, les Budgets Participatifs des départements du Lot et Garonne, des Landes, de la Dordogne, du Gers et de l’Ardèche. Alors que certains travaillent sur le lancement d’un troisième Budget Participatif très prochainement (Dordogne), d’autres en sont à l’analyse des résultats. Dans le Lot et Garonne, Dany Dutey évoque 629 idées déposées, 406 soumises au vote et 36 lauréats pour une enveloppe d’1 million d’euros. Éclectiques et inspirés, ces projets devraient voir le jour prochainement ! Du côté de l’Ardèche, la première édition du Budget Participatif a donné naissance à 14 projets lauréats. Ces projets vont d’un studio-radio itinérant, à la création d’une maison d’assistantes maternelles en passant par l’ouverture d’une recyclerie autour du vélo.

Cela sans compter les Landes qui, après une première édition fructueuse, reviennent pour un deuxième round ! Leur nouvelle enveloppe est d’1,5 millions d’euros, 10% sont réservés aux projets des jeunes de 7 à 20 ans. Enfin, dans le Gers, une nouvelle édition du Budget Participatif se prépare. Avec deux éditions réussies à leurs actifs, les pionniers de la démarche à l’échelle départementale commencent à être rôdés à l’exercice. Ils constituent actuellement une commission citoyenne pour l’organisation de cette nouvelle édition. 

Concernant les consultations, le Conseil Citoyen du Lot et Garonne a rendu un rapport sur 84 propositions pour la vie du département d’après COVID. Il planche actuellement sur un rapport concernant la défense et la promotion de la laïcité (Dany Dutey). Dans le Gers, deux enquêtes ont été menées, l’une sur l’agriculture de demain et le plan territorial d’alimentation et l’autre intitulée “Le bonheur est dans le Gers : le monde d’après, quel sera-t-il ?

L’heure du Bilan

Malgré un contexte sociétal compliqué depuis début 2020, les différentes personnes interrogées dressent un bilan positif de leurs démarches participatives. De l’avis des représentants des collectivités, il y a une “appétence des citoyens pour les démarches participatives” (Tiphaine Chatton – Les Landes). De plus, “la participation des citoyens a apporté une nouvelle vision des actions menées par le Département et a pu influer sur certaines politiques départementales” (Dany Dutey – Lot et Garonne). Dans le Gers, l’idée que cela permet de “valoriser l’action départementale et de casser des préjugés sur les décisions prises” est également partagée. 

Quelles perspectives pour l’avenir ? Dans la plupart des départements interrogés, de nouvelles démarches sont en préparation voire déjà en cours. Il semble, à la lecture des témoignages, que tous partagent l’envie de continuer à innover et à inclure les citoyens. De plus, les prochaines élections départementales pourraient redéfinir les enjeux. D’édition en édition, les dispositifs ne cessent de gagner en précision. Ils s’enrichissent des retours des participants, mais également des premiers faux pas et connaissances pratiques que l’on ne peut acquérir que sur le terrain. Après tout, c’est en forgeant que l’on devient forgeron !

 

Pour bénéficier de conseils dans vos démarches, n’hésitez pas à entrer en contact avec l’équipe iD City. Devenir client iD City c’est entrer dans la communauté de nos partenaires, toujours pleine de bons conseils !  Vous pouvez également suivre nos actualités sur les réseaux sociaux ou en vous inscrivant à notre newsletter.

 

Personnes interrogées :

  • Dany Dutey

Cheffe du service Démocratie Participative – Département du Lot-et-Garonne

  •  Tiphaine Chatton 

Responsable service Démocratie Participative et Innovation – Département des Landes

  • Département du Gers
  • Jean Christophe Labails

Conseiller technique au cabinet du Président du Département de la Dordogne

  • Laurence Allefresde

Vice présidente en charge de la jeunesse, de la vie associative et du devoir de mémoire au Département de l’Ardèche

 

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rencontre partenaires id city 2

Café, croisssant, post-it au menu de la seconde édition de la rencontre des partenaires iD City

Une cinquantaine de partenaires ont jusqu’à présent choisi la solution iD City pour mener leurs démarches de participation numériques. De natures diverses (collectivités territoriales, universités, bailleurs sociaux…), ces structures présentes dans toute la France forment la communauté des partenaires iD City.

Cette communauté vise à favoriser les liens entre acteurs et actrices de la participation, à développer le partage d’expériences entre pairs et à contribuer à la montée en compétences sur les questions de démocratie participative. Il s’agit également de faciliter l’appropriation de la plateforme et de réfléchir collectivement à ses évolutions et aux fonctionnalités à développer en priorité.

Le fonctionnement de la communauté des partenaires iD City repose sur 3 canaux : une plateforme numérique dédiée, des webinaires réguliers ainsi qu’une rencontre annuelle organisée à Nantes.

La deuxième rencontre des partenaires en bref

C’est dans ce cadre qu’une dizaine de nos partenaires (venus de plus ou moins loin !) se sont retrouvés à Nantes le 10 novembre dernier pour la deuxième rencontre de la communauté. Rythmée par des moments conviviaux et des temps de réflexion collective, cette journée a permis à nos partenaires de se rencontrer, de prendre connaissance des actualités d’iD City, mais aussi d’échanger sur l’avenir de notre plateforme numérique et de la participation citoyenne de manière générale.

Un tour d’horizon des actualités d’iD City

Après avoir fait connaissance autour d’un petit déjeuner, les partenaires présents ont pu découvrir nos actualités en se déplaçant sur différents stands. Porté par des membres de l’équipe iD City, chaque stand abordait un sujet lié à notre activité (tour d’horizon de nos partenaires et de leurs plateformes, évolutions de la plateforme à venir, etc.).

Un premier atelier sur la mobilisation des citoyen·ne·s

La deuxième partie de la matinée était dédiée à un atelier sur un sujet sollicité par nos partenaires : la mobilisation des citoyen·nes dans les démarches participatives.

En sous-groupes, les participant·es étaient tout d’abord invité·es à réfléchir aux causes du manque de mobilisation des habitant·es. Ainsi, certains freins à la mobilisation sont considérés comme propres aux citoyen·nes : sentiment de manque de légitimité à participer, désintérêt général, manque de compréhension des démarches, défiance envers les pouvoirs publics. Tandis que d’autres sont attribués aux structures organisatrices : enjeux des dispositifs peu impliquants, déficit de culture de la participation, manque de visibilité et de vulgarisation des démarches menées…

Une fois le constat effectué, de nombreuses solutions ont été proposées par les participant·es pour favoriser la mobilisation et la participation, à travers différents axes : développer et diversifier la communication, diffuser la culture de la participation, favoriser la transparence ou bien récompenser l’engagement des citoyen·nes.

La mise en commun a ensuite permis à chacun·e de recueillir des pistes de réflexion, voire des outils concrets, destinés à favoriser la mobilisation et l’implication des citoyen·nes dans les démarches participatives. Préalables indispensables à la réussite de tout dispositif de participation.

Un second atelier à la carte

L’après-midi, nous avons souhaité permettre à nos partenaires d’aborder et d’échanger sur des sujets qui les concernent, les interrogent ou les intéressent (en lien avec la participation, évidemment !) à l’occasion d’un atelier ouvert.

Plusieurs problématiques ont émergé à l’issue d’un temps de réflexion individuelle, telles que l’évaluation des démarches participatives, les évolutions de la plateforme, la formation des élu·es et des services à la participation ou bien les suites à donner aux contributions citoyennes.

Les participant·es ont choisi d’échanger en priorité sur deux sujets : les évolutions de la plateforme, ainsi que l’évaluation des démarches participatives.

L’ensemble des sujets n’ayant pu être traités en une après-midi, ils seront abordés sous d’autres formats, notamment lors des webinaires proposés plusieurs fois par an à nos partenaires.

Un grand merci aux partenaires présents, et à l’année prochaine !

Mobiliser les citoyens les plus éloignés de la politique avec le community organizing

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La participation institutionnelle se développe en France et prend de multiples formes : budget participatif, consultations urbaines, ateliers participatifs, conseils de quartiers, etc. Malgré cette offre de participation pléthorique, certains dispositifs ont du mal à atteindre leurs cibles. Les profils sociaux des participants sont souvent assez homogènes et manquent donc de diversité. En parallèle de cette offre institutionnelle, des associations et des collectifs se mobilisent pour faire entendre la voix des personnes les plus éloignées des espaces politiques locaux. Nous avons échangé avec Hélène Balazard, chercheure en science politique à l’Université de Lyon/ENTPE. Son travail de recherche explore le community organizing, une méthode de mobilisation citoyenne anglo-saxonne qui s’importe en France. Découvrez cet entretien.

Qu’est-ce que le community organizing et quels sont ses principes ?

C’est l’auto-organisation de la société civile dans une communauté de territoire pour viser l’amélioration de leurs conditions de vie et le développement de leur pouvoir d’agir. C’est difficile à traduire en Français. Il y a ce qu’on appelle les alliances citoyennes mais dans le milieu de la recherche, voire militant, on garde le terme de community organizing parce qu’il y a la dimension de communauté qui n’a pas tout à fait la même signification que le mot community et organizing. Il y a le gérondif qui est l’idée d’organiser une communauté. Community ça peut signifier un quartier, une ville, etc.

La notion d’auto-organisation est importante. Le grand principe, c’est de faire en sorte que ce soient les premiers concernés qui définissent leurs problèmes. Développer le pouvoir d’agir de ceux qui en ont le moins. Aller vers ceux qui ont le moins de pouvoir. Voir ce qui les concerne et essayer de leur donner les outils pour interpeller les décideurs et participer aux décisions.

C’est aussi redonner de la place au conflit en démocratie. Ce n’est pas quelque chose de mal d’avoir des moments de conflits. La politique est là pour résoudre les conflits donc si il n’y a pas de conflits à résoudre, la politique est morte. Autant les reconnaître et puis chercher ensemble des solutions. Il y a une phrase d’Alinsky importante : “il n’y a pas d’ennemis ni d’alliés permanents”. Ce qui signifie qu’il faut construire des relations publiques avec tout le monde.

Un des apports du community organizing, c’est qu’il permet d’identifier des problèmes participativement. Le problème remonte des citoyens organisés et l’idée c’est aussi que les citoyens soient en mesure d’identifier les solutions qui leur conviennent le mieux pour convaincre les décideurs de les mettre en oeuvre. Ceci se fait parfois en partenariat avec les décideurs s’ils veulent trouver une solution de manière participative.

Pour élargir les publics de la participation citoyenne institutionnelle, vous préconisez de dédier des moyens humains pour aller vers les personnes qui ne participent pas spontanément… Comment il faudrait faire ? Est-ce que le community organizing est un outil à mobiliser ?

Le community organizing met l’accent sur le fait d’aller vers les personnes les plus éloignées de la politique pour les accompagner. C’est les outiller pour mener campagne sur les sujets qui les concernent et les préoccupent le plus. Comme le logement et l’emploi ou la lutte contre les discriminations. Ou alors des micro-campagnes sur des choses que l’on peut obtenir très rapidement : des lampadaires, des petits problèmes hyper locaux qui sont assez anecdotiques mais qui permettent de mobiliser des personnes qui ne croient pas en leur capacité d’action et de changement. Les petites campagnes sur le cadre de vie existent dans le community organizing. Elles ne sont pas une fin en soi mais un moyen de mobiliser des personnes quand elles pensent qu’elles n’ont aucun pouvoir. Elles apprennent qu’en interpellant les décideurs on peut obtenir gain de cause. C’est surtout un moyen de former de nouveaux leaders et mobiliser de nouvelles personnes. Ces petites campagnes visent plus particulièrement à régler des problèmes plus primaires et prioritaires autour du logement, de la sécurité, de l’éducation.

Est-ce que le modèle s’applique bien en France alors que le terme de communauté est vécu péjorativement en France ?

On nous l’a beaucoup dit mais dans les faits non. Car si on y réfléchi, c’est très théorique que le terme de communauté soit vécu de manière péjorative en France. Au final, les gens fonctionnent quand même en communauté. Et même les plus riches. Les sociologues Monique et Michel Pinçon Charlot l’ont bien démontré. Il y a du communautarisme chez beaucoup d’élus et de partis politiques, notamment au niveau local. Après le fait est que les critiques du communautarisme servent surtout à critiquer une religion en particulier. Et ça c’est problématique.

Est-ce que le community organizing souffre de cette stigmatisation pour sa diffusion en France ?

L’idée du community organizing n’est pas de créer du repli sur soi communautaire. Les organisations qui sont les étendards en France du community organizing, ce sont les alliances citoyennes de l’agglomération de Grenoble et Aubervilliers. Il y a aussi une organisation à Rennes qui s’appelle “Si on s’alliait ?”. On est bien sur la thématique de l’alliance et non de l’entre-soi.

Il faut voir les communautés en tant que petites écoles de la démocratie. Des endroits où on s’organise à plusieurs. L’idée n’est pas de stigmatiser ces petits groupes qui existent et faire en sorte qu’ils restent entre-eux mais de les ouvrir vers la grande société et créer des passerelles. Tant qu’on les stigmatise, on va créer cet entre-soi qu’on pense pourtant combattre. L’idée du community organizing est de relier des communautés, des petites écoles de la démocratie entre-elles pour les valoriser. C’est important que les gens se socialisent à la petite politique pour pouvoir participer à la grande politique.

Existe-t-il différents modèles de community organizing ?

Il y a plusieurs modèles de community organizing et notamment des modèles où les membres sont des individus. Donc là l’objectif c’est recréer une forme de corps intermédiaires. Dans le modèle de London Citizens, les membres sont des groupes. Donc le but est de valoriser ces groupes qui existent en faisant en sorte qu’ils travaillent ensemble sur des sujets qu’ils ont en commun car l’union fait la force.

Vous prônez la diversification des modes d’expression et d’écoute pour faire en sorte que les personnes les plus éloignées de la politique puissent s’exprimer. Quels sont les formats d’expression que vous avez en tête ?

Dans les modèles où les membres sont des individus, le format de base c’est en effet le porte à porte. Dans le modèle où les membres sont des groupes, la méthode est plutôt d’aller voir les groupes qui préexistent. Donc beaucoup d’associations cultuelles, d’établissements scolaires, des centres sociaux. Mais notamment les églises, les synagogues, les mosquées, les temples. Finalement dans un quartier, c’est aller à un endroit où il existe des liens de sociabilité sur lesquels on pourrait s’appuyer. C’est aussi une manière de toucher parfois les personnes les plus précaires. Souvent ces personnes sont accueillies par une communauté cultuelle et/ou d’autres communautés. Ces communautés font souvent un travail pour aller vers les personnes les plus pauvres. L’idée est de décupler la mobilisation en passant par des formes déjà existantes d’organisations qui ne sont pas en tant que tel sur le terrain politique. C’est s’appuyer sur cette base pour aller vers les personnes les plus éloignées de la politique et gagner en pouvoir d’agir.

Quelle est la réception par les institutions politiques du community organizing ?

Le community organizing vient en complément de la démocratie représentative car le community organizing incite les gens à aller voter. A Londres, avant chaque élection municipale, ils organisent les “accountability assembly” où l’assemblée invite les principaux candidats aux élections municipales. L’assemblée fait une campagne d’écoute en amont pour identifier les 5 priorités sur lesquelles leurs membres ont envie que le prochain maire agisse avec des solutions déjà identifiées.

Si le maire sortant est candidat à sa réélection, ils font le bilan de ce qu’il avait promis avant son élection. Il se fait applaudir ou huer. L’assemblée fait des demandes pour la prochaine mandature et chaque candidat a un temps de parole défini. Les temps de paroles sont maîtrisés par London Citizens. Ils demandent au futur maire de s’engager pour faire des points réguliers sur l’avancée de ses promesses. Ils essaient de recréer du lien et de la confiance. Il y a beaucoup de gens qui ne votent pas parce qu’ils pensent que ça ne sert à rien et qu’il n’y a plus aucun lien. Ils ont perdu confiance en la capacité des élus de les représenter. Là ils essaient de recréer ce lien.

Souvent les candidats sont preneurs de ce type de rencontres. Lors de la dernière assemblée, il y avait 5000 personnes à Londres. Ils arrivent à réunir une image du “citoyen ordinaire” de Londres car il y a tous les âges, toutes les couleurs, toutes les religions et tous les looks. Ce n’est pas un public homogène comme ils en ont l’habitude dans les meetings politiques ordinaires. Les candidats apprécient d’avoir l’impression d’être au contact du “citoyen ordinaire”. Pendant ces assemblées il y a toujours un stand avec une association qui est là pour aider les gens à s’inscrire sur les listes électorales.

Quels sont selon-vous les défis à relever de la démocratie participative institutionnelle aujourd’hui en France ? Est-ce que c’est par exemple renforcer la démocratie d’initiative citoyenne ?

Un des défis c’est de reconnaître la démocratie d’interpellation et reconnaître qu’il peut y avoir des conflits. Les élus doivent être formés au fait qu’ils peuvent se faire interpeller et donc apprendre à réagir dans ces cas-là. Si on a une interpellation inhabituelle, au lieu de se refermer il faut savoir être réactif.

Après je pense qu’il y a un défi d’ordre constitutionnel. Il faut élargir les domaines possibles des expérimentations démocratiques. Comme avoir des élus qui tournent, des représentants tirés au sort tous les ans.

Je pense que la richesse de la démocratie se trouve dans la multiplicité des expériences et des formes de participation parce que tout le monde est différent et a envie de participer de manière différente pour différentes raisons et à différents moments de sa vie. Il faut des outils de participation en ligne, des choses en face à face pour que le tout se complète.

Selon vous, un autre défi démocratique est de mieux éduquer à la citoyenneté dès le plus jeune âge…

Je compte explorer en quoi le community organizing peut être un outil d’éducation à la citoyenneté dès le plus jeune âge. A Londres, il y a des établissements scolaires qui sont membres de London Citizens dans le cadre de leur éducation à la citoyenneté. Ce qui permet aux enfants de développer une citoyenneté proactive contrairement à ce qu’on peut voir en France. C’est une caricature mais notre éducation à la citoyenneté rend les citoyens passifs et critiques alors que nous pourrions être plus proactifs et essayer d’identifier ensemble des solutions.

Plus il y a d’expériences et de moyens possibles de participer, plus la démocratie est riche. Ces richesses s’acquièrent dès le plus jeune âge. Pour être créatif en matière de démocratie, il faut avoir confiance dès le plus jeune âge en sa capacité d’action. Il faut être en mesure de se dire que dans une situation insatisfaisante, plutôt que de seulement râler, déprimer et ne plus voter : “je vais essayer de regrouper des personnes autour de moi qui sont d’accord, mener des actions, trouver des solutions, interpeller les élus”.

Références bibliographiques d’Hélène Balazard :
Agir en démocratie, Éditions de l’Atelier, 2015.
Ma cité s’organise, Community organizing et mobilisations dans les quartiers populaires, Mouvements, vol. 85, no. 1, 2016.

Pour en savoir plus sur le community organizing :
– Site de l’institut Alinsky : https://alinsky.fr/