Interview de Thérèse Thiery, maire de Lanester

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Rencontre avec Thérèse Thiery, maire de Lanester à-propos de la plateforme de budget participatif

La ville de Lanester (22 000 habitants, située dans le Morbihan) a recours à une plateforme numérique de budget participatif pour renforcer l’efficacité de son processus. Rencontre avec Thérèse Thiery, maire de Lanester. Entretien réalisé au mois de février 2018.

Quels sont les dispositifs physiques en place dans votre ville favorisant le dialogue avec les citoyens ?

Nous avons des dispositifs de « proximité » comme des permanences pour faciliter les rencontres entre élus et habitants, notamment sur le marché. Nous organisons également des visites de quartier une fois par an dans chaque quartier, ainsi que des « Assemblées de quartier » qui prennent la forme de réunions publiques d’information sur chaque quartier, au rythme de deux fois par an, pour informer de l’actualité locale de la ville. Nous avons aussi mis en place des dispositifs de concertation, avec par exemple un cycle annuel intitulé « Vous en pensez quoi ? », sur une période de trois mois de débats selon différentes méthodes et sur un sujet sur lequel la Ville va agir. De manière ponctuelle, nous mettons également en place des ateliers citoyens, via des groupes de quinze à vingt personnes, sur différentes thématiques. La mise en œuvre d’un budget participatif favorise aussi le dialogue avec les citoyens, de même que l’existence de maisons de quartier, la promotion des associations, l’instauration d’un conseil municipal des enfants, l’organisation de rencontres annuelles avec les associations ou encore avec les commerçants.

Quels sont pour vous les avantages de ces dispositifs ?

Les avantages des dispositifs physiques sont multiples. Si je devais en citer un en particulier, ce serait leur capacité à susciter une confrontation de points de vue. En matière de dialogue avec les citoyens, un dispositif physique reste plus engageant qu’une concertation numérique car l’efficacité d’une construction collective uniquement en ligne est moins évidente.

Quels sont pour vous les limites de ces dispositifs ?

En effet, les dispositifs physiques présentent aussi leurs limites… Par exemple, proportionnellement à la population de la ville, ils bénéficient d’une faible participation alors qu’un volet numérique d’une concertation élargit le spectre de participants. Il va mobiliser des catégories sociales plus populaires, des participants plus jeunes, etc. C’est pour cela que les approches physiques et numériques sont complémentaires dans le cadre d’une démarche globale de concertation citoyenne.

Quelles concertations numériques avez-vous déjà mené avec iD CITY ?

Nous avons mené une concertation avec iD CITY dans le cadre d’un cycle « Vous en pensez quoi ? » sur l’aménagement d’un espace public. Pour ce faire, nous eu recours à la plateforme pour recueillir des idées pendant trois mois. Nous avons également utilisé la plateforme d’iD CITY à deux reprises dans le cadre du budget participatif, pour la phase de dépôt des projets puis pour le vote final.

Quels sont selon vous les avantages d’utiliser une plateforme numérique de budget participatif pour associer les citoyens ?

L’utilisation d’une plateforme numérique permet d’augmenter l’inclusion des dispositifs. Par exemple dans le cadre du budget participatif, le recours à un volet numérique a permis de toucher beaucoup plus de publics que nos autres dispositifs. L’un des avantages est que cela amoindrit le niveau de contrainte d’entrée dans les dispositifs participatifs : on y participe quand on veut et le temps qu’on veut. C’est plus souple, plus facile d’accès et plus attractif.

Quels résultats et avantages obtenez-vous avec iD CITY en complémentarité des dispositifs physiques existants ?

Si je prends l’exemple du budget participatif en 2017, en deux mois, 93 projets ont été déposés, pour un total de 291 commentaires et plus de 6000 likes. Le vote final a rassemblé 1540 votants, dont 1300 en ligne via la plateforme numérique.

Sur quels prochains projets pensez-vous mener une concertation incluant un volet numérique ?

Nous comptons mener une concertation incluant un volet numérique en 2018, dans le cadre de la nouvelle édition du budget participatif. Un travail de réflexion est également en cours sur la mise en œuvre d’une plateforme web globale dédiée à la participation, comme dispositif à part entière et pérenne dans le temps, au-delà du seul budget participatif. Donc potentiellement, nous souhaitons mener des concertations avec un volet numérique sur de multiples sujets et avec de multiples outils, avec l’objectif d’exploiter au maximum les fonctionnalités de la nouvelle version de la plateforme proposée par iD CITY.

En quoi le recours à des concertations numériques peut-elle faire évoluer la manière de gérer les collectivités ?

Selon nous, la concertation numérique n’est pas différente en soi de la concertation tout cours. C’est juste un outil supplémentaire à disposition, avec ses intérêts certains comme l’inclusion, et aussi ses limites, comme une certaine superficialité de la participation qui peut être moins impliquante ou engageante pour les participants ou qui peut s’accompagner d’une plus grande difficulté à confronter les points de vue. La concertation numérique ne peut même sans doute être pertinente qu’à partir du moment où elle entre en complémentarité avec des dispositifs qui ont une réalité physique.

En quoi les concertations numériques peuvent-elles contribuer à renforcer le lien de proximité entre élus, agents et citoyens ?

Tout outil qui offre un espace de parole a vocation à renforcer ce lien de proximité entre élus, agents et citoyens. Dans ce cadre, une concertation numérique est un outil de plus à disposition pour renforcer ce lien. Prenons l’exemple d’un élu qui tient un stand sur un marché pour être au contact des citoyens : il est présent à des horaires précis, auprès d’habitants qui ont l’habitude d’aller au marché et qui sont disponibles pour s’y rendre. Or cela écarte potentiellement de nombreux habitants pris par leur vie active, des enfants à s’occuper, etc. Une concertation numérique permet dès lors une plus grande flexibilité au niveau de la participation des citoyens.

Budget participatif : les origines

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Lorsque l’on retrace l’historique des premières initiatives de budgets participatifs ou même de démocratie locale, l’exemple de Porto Alegre est souvent le premier à être cité. Pour mieux comprendre les raisons de la mise en place du premier budget participatif au monde, il est nécessaire de bien resituer le contexte historique et politique du Brésil dans les années 1980.

En 1985, la dictature militaire prend fin au Brésil après 21 années pendant lesquelles corruption et clientélisme sont devenus monnaie courante. Le pays se reconstruit progressivement en rédigeant notamment une nouvelle constitution dans laquelle est inscrit pour la première fois, le concept d’exercice direct de la souveraineté du peuple.
Olivio Dultra, du Parti des travailleurs, est élu en 1988 à la municipalité de Porto Alegre, capital de la province du Rio Grande do Sul et ville de plus d’un million trois cent mille habitants. Il est animé par une forte volonté d’amélioration de la vie quotidienne des plus pauvres et de rendre un pouvoir décisionnel aux citoyens. La première expérience de budget participatif apparaît en 1989.

Un succès progressif

La ville a été divisée en secteurs régionaux et thématiques pour permettre une participation populaire, universelle et direct. L’organisation du budget participatif est composée de plusieurs strates.
Le premier niveau de réflexion est animé par des associations thématiques ou bien, le plus souvent, par des associations d’habitants. Ces associations sont composées, en grande partie, d’habitants issus de catégories sociales moyennes et pauvres. Au cours des réunions, les problèmes spécifiques du quartier sont évoqués et les priorités sont définies.

Le deuxième stade est celui des assemblées plénières, pendant lesquelles toute personne intéressée peut participer. Lors de ces assemblées, des délégués du budget participatif sont élus. Ces derniers éliront à leur tour des conseillers du budget participatif qui prendront part au Conseil du budget participatif.
L’organisation et la mise en place du budget participatif ont été amené à évoluer au fil des années. Sont par exemple apparus en 1994, des assemblées thématiques au nombre de six. Elles avaient pour but d’aborder des thèmes qui n’étaient pas spontanément présentés par les associations de quartier et qui n’impliquent donc pas certaines parties de la population (les jeunes, les professionnels de la santé, les acteurs économiques etc.)

Bien que le succès soit timide les premières années ( 780 participants la première année), l’amélioration progressive du système mis en place et la persévérance de la municipalité ont permis d’atteindre la participation de plus de 18 500 personnes en 2001.

De multiples impacts

L’initiative a eu un impact positif sur toutes les parties prenantes de la ville à différents niveaux. Pour les élus, un nouveau lien à été créé avec les citoyens. Le budget participatif a permis de mieux appréhender les besoins et les souhaits de la population. Pour les techniciens, le recueil d’information est optimisé. Pour les citoyens, c’est le moyen de découvrir le fonctionnement de la collectivité, ainsi que les contraintes qui lui sont propres. Le budget participatif incite à la mobilisation et à la responsabilisation des citoyens. Il permet une plus grande transparence dans la gestion des budgets municipaux et un contrôle dans l’application des décisions. De plus, ce sont majoritairement les personnes les plus défavorisées qui se sont mobilisées. Elles ont donc été les premières à bénéficier des mesures adoptées. Le budget participatif s’avère donc être un dispositif inclusif des populations exclues de la politique traditionnelle.

La dimension politique est indéniable dans la mise en place du budget participatif. Bien sûr, le contexte historique y est pour beaucoup. De ce fait, le projet ayant débuté en 1989 après l’élection du candidat du Parti des Travailleurs en 1988, il a été reconduit d’année en année avec toujours plus de succès et de participation.
Ceci étant, le Parti des Travailleurs subit un échec électoral en 2004. L’usure du pouvoir, une certaine insatisfaction de la classe moyenne et la promesse de maintien du budget participatif par l’opposition expliquent, en partie, cette défaite. Le budget participatif fut maintenu, mais intégré à un nouveau processus : la gouvernance solidaire locale. Mais cette nouveauté ne se montre pas aussi efficace. La distance entre les citoyens et leur pouvoir décisionnel se creuse.

Quel est l’héritage de Porto Alegre aujourd’hui ?

Bien que le budget participatif de Porto Alegre ait progressivement perdu de son influence, de nombreuses municipalités brésiliennes se sont inspirées de cette initiative. De nouveaux budgets participatifs ont commencé à émerger. Les Forums Sociaux Mondiaux (2001, 2003, 2004) à Porto Alegre ont d’ailleurs contribué à la diffusion du modèle à travers le monde. En France, les premiers budgets participatifs apparaissent dès le début des années 2000. Comme à Porto Alegre, les premières initiatives françaises sont basées sur un registre idéologique, dont la perspective est la justice sociale.
Au fil des années, les budgets participatifs se sont inscrits dans une nouvelle logique. De nos jours, les initiatives existantes en France visent à booster la participation citoyenne. Sa dimension de justice sociale est moins présente mais certaines communes favorisent spécifiquement les quartiers les moins favorisés, à l’image de Porto Alegre.
Bien que pionnière, l’initiative brésilienne n’est pas tout à fait réplicable pour les communes qui désirent s’engager dans ce type de démarche de participation citoyenne.
Néanmoins, les expériences françaises de budgets participatifs se multiplient et rencontrent du succès. En guise d’exemple chiffré, l’édition 2017 du budget participatif de Lanester c’est : 14% des habitants inscrits sur la plateforme, 93 projets déposés, 6 000 avis citoyens et 1540 participants à la phase de vote. Un succès qui sera accompagné d’autres !